Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/510

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xvie siècle, ample et familier. Ces figures bien assemblées, aux gestes combinés pour l’harmonie des lignes, aux couleurs savamment contrastées, parlent d’art et de labeur, de la distraction toujours imposée par l’homme à son inquiétude d’esprit. Il n’y a qu’à comprendre l’exemple, qu’à fermer la porte, et qu’à rentrer dans la vie telle qu’elle est,

Si ces images de la chapelle du Cran n’avaient pas suffi, le spectacle du jour de foire, qui m’attendait à Châteauneuf-du-Faou, était bien fait pour raviver les illusions nécessaires. J’entre à grand’peine dans le bourg à travers l’encombrement des voitures et des piétons, et je ne vois pas tout d’abord le vrai aspect de Châteauneuf, bâti en amphithéâtre sur le haut versant d’une colline au-dessus de la vallée de l’Aulne. Je vois bien l’espace lumineux, le grand ciel, la verdure, et le premier plan découpé par les maisons et l’église, où une messe se termine devant les fidèles du dedans et ceux du dehors, à genoux devant le porche. Mais la vision est confuse, le paysage fait ici le fond d’un tableau vivant qui prend toute mon attention. La foule emplit la route à flanc de coteau et toutes les rues qui descendent vers le champ de foire. De la hauteur où je suis, j’aperçois ce champ de foire tout grouillant de gens et de bêtes, si débordant que l’on peut croire impossible d’y pénétrer. Pourtant, de nouveaux arrivants, sans cesse, se faufilent dans ce bloc compact et remuant, d’où monte vers moi une rumeur faite de piétinements, de paroles, de plaintes d’animaux. À mon tour, j’entre à grand peine dans cette mêlée, je vais pas à pas, me glissant à travers les groupes de marchands et d’acheteurs, les animaux couchés ou debout. Je passe tout de même, vais d’un bout à l’autre du champ. Tous les paysans des environs sont là, évidemment, et je ne m’étonne plus si les champs étaient presque déserts tout à l’heure, autour de la chapelle du Cran. Ils sont venus, de tous les hameaux, de toutes les fermes, menant avec eux la bête qu’ils ont patiemment élevée. Ceux-là n’ont pas le temps de s’arrêter au milieu de leur labeur pour se poser des questions inutiles, pour se demander la signification des choses et la raison de l’existence, tous les pourquoi et tous les comment que nous nous adressons à nous-mêmes, sans cesse, et auxquels nous ne pouvons pas faire de réponse. Eux, qui vivent au milieu de la nature, font partie de la vie, obéissent sans y songer au mouvement qui entraîne tout à travers l’alternance régulière des saisons et des heures. Peut-être, au crépuscule, quand les ombres s’allongent, que les aspects deviennent indistincts, que les brumes blanches traînent par les prairies, au bord des étangs et des marécages, l’un d’eux s’interroge-t-il sur ce mystère qui l’environne. Mais la question se fait à peine jour à travers son esprit, harassé par son corps. Il suit d’un pas pesant son chemin d’habitude, il regarde comme tous les jours son horizon circonscrit par sa maison, ses arbres, le clocher, il voit passer la diligence ou il entend le coup de sifflet du chemin de fer. Mais il ne réfléchit pas davantage sur le destin de l’homme. Il va vers sa chaumine où l’attend sa soupe, et tout de suite le sommeil le prendra. Au lendemain, dès l’aube, réveillé avec le soleil, il retrouvera son activité, reprendra ses occupations où il les a laissées. Tranquillement, par l’effort sans cesse ajouté à l’effort, posément, avec la sécurité, la sûreté du recommencement et de la monotonie, il fera de la vie, année par année, jour par jour, minute par minute, de la même manière lente et invariable que la nature.

DEUX VIEUX À CHÂTEAUNEUF-DU-FAOU.

Le résultat de son labeur, il l’apporte avec lui à la foire de Châteauneuf-du-Faou. C’est le porc dont la graisse ballotte dans la charrette, c’est le veau dont les quatre pattes sont rassemblées, liées d’un seul trait, c’est la vache tirée au bout d’une corde, c’est le cheval mené par la bride, c’est la poule et le canard dans un panier. Voilà l’œuvre d’art et le chef-d’œuvre de l’homme des champs, et voilà aussi sa contribution à la vie sociale. Il prend part à l’échange, il se relie à l’ensemble des hommes, il nourrit les cités. Sur ce champ de foire où je