Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deniers par congre renable et huit quarts de vin par centaine de poissons. » Les cétacés et autres poissons de grandes dimensions étaient classés comme poissons royaux et étaient la propriété des ducs, qui s’en réservaient la vente. Le poisson frais était très recherché, comme bien on pense. M. Dupuy raconte qu’aussitôt les pêcheurs surgis dans une ville de la côte, ils étaient harcelés par les bourgeois, et aussi les regrattiers, les colporteurs, mais la plus grande partie du poisson, faute de moyens de transport, devait être séchée et salée : encore un motif de redevance au seigneur. « La Bretagne — dit le même auteur — exporte une grande quantité de poisson salé. C’est surtout pendant les mois de janvier et de février que les grands seigneurs français font, à Nantes et à Saint-Malo, leur approvisionnement en vue du carême. En 1477, le pourvoyeur de Jeanne Chabot, dame de Montsoreau, achète à Nantes une pipe de merluches, un cent de papillons, un cent de raies, deux cents de seiches, trois caques de harengs blancs, un millier de harengs saurs… Le roi Louis XI fait prendre deux cents de lamproies. La dame de Saint-Brice, la même année, achète à Saint-Malo trois cents de harengs blancs, valant trente sous. Elle prend, en outre, pour quarante-cinq sous de harengs saurs, pour vingt sous de marsouins. Toutes ces provisions sont transportées à son château de Bouche-d’Usure, en Anjou. » De nos jours, grâce à la facilité des communications, le poisson frais est demandé de préférence aux salaisons et aux conserves. Toutefois, il faut prévoir les mauvaises saisons de pêche, les périodes de bourrasques où les bateaux restent amarrés au port, les périodes de malchance où la mer est fouillée en vain.

Malgré toutes ces incertitudes, la profession se transmet de père en fils. Les enfants pourraient apprendre d’autres métiers, mais la nécessité immédiate et l’instinct héréditaire sont les plus forts. Ils font comme tant d’autres, ils acceptent le bon et le mauvais de l’existence. Il est des périodes heureuses où la « mer est salée », il en est d’autres, où la « mer est brûlée » ne fournit rien. La disette alors règne, l’armoire est vide, il faut restreindre la ration et quelquefois jeûner. Le pécheur est, d’ailleurs, imprévoyant, insouciant, il dépense habituellement ce qu’il gagne sans songer au lendemain. Il met en pratique ce proverbe : « Un sou gagné sur terre vaut mieux que dix sous gagnés sur mer : un sou gagné sur terre, on peut le posséder ; les dix qu’on a gagnés sur mer, on les voit se noyer. » L’insécurité dans la vie est pour beaucoup dans cet état d’esprit. À quoi bon thésauriser ? Pourtant, il est des exceptions. Certains ambitionnent de posséder leur bateau à eux, de n’avoir plus à payer en nature, sur le produit de chaque pêche, la part d’intérêt et d’amortissement due au patron-marin. Ceux-là accumulent les économies, évitent le cabaret, l’ordre règne dans leur maison, pour atteindre le jour où la barque neuve sera poussée vers les flots. Ce jour-là, le nouveau patron réalise son rêve, advienne ensuite que pourra !

COIFFE DE DOUARNENEZ.

Ce qui vient toujours, quand ce n’est pas la misère, c’est la tempête. Tous les ans, des bateaux disparaissent. Puis le vent tombe, la mer apaisée rend les cadavres de ceux qu’elle a tués. Au village, des places sont vides au foyer des pêcheurs. Dans le port, des barques manquent à l’appel. Tous les jours, les femmes sont allées sur la jetée demander un espoir à la mer sinistre. Mais l’ouragan qui passait avec des clameurs sous le ciel noir, les vagues qui se jetaient sur la côte en mâchant et broyant les galets, tous les bruits de l’air et de l’eau ne leur apportaient que des ricanements et des menaces. Victor Hugo a dit magnifiquement ces drames de la mer.

Où sont-ils, les marins perdus dans les nuits noires ?
Ô flots, que vous savez de lugubres histoires,
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c’est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous.

Les flux et les reflux se succèdent, n’apportant ni la vie, ni la mort aux femmes et aux enfants qu’on appellera demain des veuves et des orphelins. Puis, un jour, on trouve un cadavre sous la falaise, des débris de barque sur le sable. Les marins portent leur com-