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Ici, il y a, en effet, un pays à découvrir, comme il y en a partout, pour ceux qui savent voir.

La plage est délicieuse de blancheur, de fraîcheur. Au sortir des terres noires, des verdures sombres, c’est un éblouissement que ces grèves de sable fin, brodées de l’écume de la vague, et cette mer douce et tendre.

Le soleil monte à l’horizon, c’est le matin.

Malgré les maisons parisiennes, c’est ici loin, bien loin de la cité. Les caps avançant leurs pointes dans l’immensité du large vous donnent brusquement la sensation d’être au bout du monde. Le ciel est lumineux, la mer bleue, et les grottes rouges. Je vais en barque vers les grottes. Les marins experts savent y pénétrer, contourner tous les recoins de ces hautes et spacieuses cavernes. Sous les immenses voûtes de granit, on ne peut s’empêcher d’évoquer les siècles, des siècles à l’infini. Les grottes semblent là depuis toujours, rien d’elles ne paraît avoir bougé. Dans leur dure immobilité, dans leur silence que trouble seul le clapotis de l’eau, qu’ont-elles vu ? qu’ont-elles entendu ? Quel héros mythologique ont-elles abrité ? Quelles Angéliques gardées par des monstres, délivrées par des Rogers ? Quels animaux fantastiques des mers ont-elles cachés ? Elles sont des palais féeriques, parés de toute la richesse, de toute la splendeur de la matière. Le jade, l’onyx, la turquoise, le lapis, en blocs, en coulées, font l’édifice. L’émanation des sels marins leur donne une continuelle patine de pierres précieuses. L’eau rigide, comme un dur miroir, reflète pour elle-même ces murailles sombres et éclatantes. L’homme du pays a donné un nom à tous ces creux, à toutes ces formes où se convulse et se sculpte la nature. Ici, c’est un autel, là c’est une statue, plus loin un lion tout en or, et encore des quartiers d’animaux éventrés, sanguinolents et bleuis. Le guide récite sa leçon comme un gardien de musée, il dit les profondeurs, les couloirs, les communications lointaines avec les grottes terrestres. Il fait résonner les échos, et les visiteurs s’en vont satisfaits.

J’entre dans la grotte Sainte-Marine, la Cheminée du Diable, la grotte des Cormorans, la grotte de l’Autel. La barque sort de la dernière grotte, revient à la lumière, reprend la mer, traverse la baie jusqu’à la petite cale où l’on débarque. Le soleil plane juste au-dessus de nos têtes. C’est midi. L’heure de gagner l’hôtel, L’hôtesse de cet hôtel a des concurrents, tient bien sa maison et sa table, « Qu’avons-nous à manger, bonne hôtesse ? » — « Des homards à l’américaine. » La nappe est blanche, mais voilà du monde, beaucoup de monde pour y faire des taches.

Ils entrent. Elles entrent. Tous Parisiens. C’est moi le Breton.

On parle. Le ciel ne s’appelle plus ciel. C’est un Budin. Les grottes et les falaises s’appellent des Monet, la mer un Turner, les arbres des Corot, les paysans des Millet, les autres gens des Raffaëlli, les homards des Cézanne, l’hôtesse un Bonvin. Puis, enhardis, tous ces gens, à la fin, comparent la grande nature à leurs petits tableautins, leurs dames prennent des poses de naïades, et si l’on n’était pas entre concurrents, chacun dirait ce qu’il pense : « Ça, c’est un Moi ! »

Le soleil descend à l’horizon. C’est le soir. Sur la plage se promène en ribambelles le Tout-Paris-Breton des vernissages.

GROTTE DE MORGAT, HAUTE ET SPACIEUSE CAVERNE AUX VOÛTES DE GRANIT.

Je rentre pour lire dans quelques bouquins l’histoire de Crozon. Toute cette presqu’île faisait jadis partie d’une terre, dite de Rivoalen, qui après avoir appartenu, au ve siècle, à un chef breton, passa successivement aux maisons de Cornouaille, de Léon, de Rosmadec, du Han, de la Porte d’Artois, de Rousselet, de Châteaurenault et d’Estaing. D’après M. Paul de Courey, le seigneur de Crozon « avait le droit, du 1er janvier au 1er mars, de choisir un jour, en l’indiquant une semaine à l’avance, et d’aller, accompagné de six gentilshommes, de six domestiques, de six braques, de six