Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Passion se présentent à la fois avec les prêtres, les soldats, les apôtres, la foule, tout ce monde vêtu des costumes du temps, les paysans joueurs de biniou accompagnant le Christ au jour où il entre à Jérusalem.

Les costumes n’ont guère changé à Plougastel depuis 1602. J’ai vu là, tout contre le Calvaire, une sortie de baptême, tout un cortège de femmes en jupes noires, à tabliers bleus, à corsages à basques, à coiffes en forme de casque ; de petites filles semblables, en jupes longues, de toutes les couleurs, la tête coiffée d’un béguin ; d’hommes aux larges ceintures, la veste et le gilet brodés, le chapeau noir garni de rubans de velours. Le parrain et la marraine étaient surtout magnifiques lorsqu’ils apparurent au porche sombre de l’église, la commère en robe Louis XIII, ouverte sur plusieurs jupes couvertes de broderies, le compère aux longs cheveux, au large chapeau, avec l’habit bleu carré à larges basques, la culotte courte et bouffante, le bragoubras, les souliers à bouffettes, plusieurs gilets les uns sur les autres, et, à la main, une canne toute fleurie de rubans. On aurait cru un seigneur de Versailles allant faire le tour de la pièce d’eau des Suisses, plutôt qu’un cultivateur de fraises dans ses habits de cérémonie. Ceux qui vont porter les fraises, en barque, à Brest et dans tous les ports des environs, sont coiffés d’un bonnet rouge de forme catalane, dont la pointe retombe sur le côté. Rien de plus beau que ce pays, de plus particulier et de plus pittoresque que l’existence de ses habitants. Plougastel est caché en une sorte d’oasis, défendue du côté de la rade par un promontoire hérissé de blocs de rochers. Après avoir franchi les pierres et les bruyères, les étendues grises où l’on ne rencontre que des petits moutons noirs, où l’on ne voit planer que les oiseaux de proie, c’est une surprise de trouver le pays riant, exposé au sud, tout fleuri d’arbres fruitiers au printemps, et bientôt tout rouge de fraises, puis couvert de melons en été.

MARCHANDES DE POMMES AU FAOU.

La grande fête, le 24 juin, est autour de la chapelle Saint-Jean de Plougastel, au-dessus de la rivière de Landerneau. C’est le Pardon aux oiseaux. Les enfants du pays vendent, en des cages d’osier, tous les plumages et tous les ramages qu’ils ont dénichés dans les arbres et dans les haies. Les promeneurs de Brest descendent à la station de Passage. Ils viennent voir les costumes. Mais cette assemblée ne vaut pas la vision que j’ai eue de cette sortie de baptême où j’étais le seul spectateur. C’était, ce jour-là, une scène de vie surprise, la coutume tranquillement observée, et non la mascarade infailliblement produite par la mêlée de quelques costumes anciens avec la foule brestoise endimanchée. Mieux vaut encore Plougastel solitaire, un jour de beau temps éclairé de soleil, la grande rue et les petites rues à peu près désertes, les champs animés par le travail.

C’est un soir que je suis parti de Châteaulin pour Brasparts, et je n’ai jamais vu de plus beau soir. Insensiblement la dernière clarté du crépuscule fit place à la clarté lunaire, et ce fut un enchantement. Du chemin montant qui avait quitté la route du bord de la rivière, et qui s’en allait rejoindre la grande route au-dessus