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Aux poutres du plafond, d’autres morceaux de lard, des vessies de saindoux, des vannettes ou corbeilles à pain, et une planche à pain semblable à celle des casernes. Le tout est éclairé par deux petites croisées d’environ 1 mètre carré. Aux murs blanchis à la chaux, des images, quelques photographies, une communiante, une mariée, un marin, les portraits de ceux qui ne sont plus ou qui sont partis au loin, le résumé d’humbles existences. Une croix avec du buis, un petit bénitier colorié, accrochés aux lits clos. Le reste, c’est la table et les bancs en bois épais, un porte-cuillers. C’est l’intérieur breton, toujours le même depuis plusieurs siècles. Les meubles ont servi peut-être à dix générations. Les costumes sont personnels, mais ils n’ont pas varié de forme et de couleur. L’homme a la culotte bouffante, le gilet croisé, le petit chapeau rond ; les femmes, la petite coiffe en serre-tête, la jupe de droguet. Le vieillard a été soldat sous Charles X et Louis-Philippe, et il parle le français, lentement et clairement, mais les femmes n’en savent pas un mot. C’est ici que peut s’appliquer le proverbe : « Nan a oui, setu gallek ann ti, — non et oui, c’est tout le français de la maison. » J’interroge le maître du logis. Il a gardé le souvenir des forçats, de leurs soldats-gardiens armés de fusils à pierre, baïonnette au canon, du camp, et du compagnonnage des jeunes gens avec les troupiers de l’époque. On voit que la construction du canal a été la grande affaire de sa vie et de la vie de Glomel. Le canal, dit-il, a fait du bien au pays qui, à ce moment, était le plus pauvre et le moins civilisé de toute la Bretagne, mais il a mis toutes les sources à sec et on est forcé d’aller puiser de l’eau dans des tonneaux jusqu’au bord du réservoir. Il résume ses pensées en phrases courtes, prononcées d’un ton grave, debout, la pipe aux dents, les bras croisés.

MAISON D’ÉCLUSE DU CANAL, À GLOMEL. JOLIE MAISON CARRÉE AUX MURS BLANCS, TOIT D’ARDOISES, ACCOSTÉE D’UN JARDINET.

Du Menhir, nous suivons à travers les fougères un sentier parallèle à la rigole aboutissant au chemin de halage. Celui-ci est abrité par un revêtement gazonné, planté d’arbres destinés à soutenir le terrain. Dans ces herbes, les champignons foisonnent. À quelque distance, c’est un poste d’éclusier, une jolie maison carrée, aux murs blancs, toit d’ardoises, accostée d’un jardinet, délicatement mirée dans l’eau claire. Puis c’est la route. À partir de ce point, le canal s’encaisse entre deux talus plantés d’arbres d’essences variées : chênes, bouleaux, épicéas, frênes, véritable forêt reflétée aussi dans l’eau que pas un souffle ne ride. C’est la solitude complète, une promenade parfaite, un repos délicieux au long de ce canal qui file droit, sous ces verdures embaumées. Nous marchons ainsi pendant plus de 2 kilomètres. Au bout de cette double allée, une autre maison d’écluse ; le canal dessine un coude à angle droit, mêle ses eaux à celles d’un petit étang et rentre dans la plaine, une plaine marécageuse dans laquelle il faut marcher pendant plusieurs centaines de mètres avant de trouver un chemin qui ramène à Glomel par l’ouest, un chemin qui doit être assez souvent transformé en torrent. Çà et là, on aperçoit, émergeant de la verdure, des toits de châteaux, Saint-Péran, Coatcouraval, Bodennou, Kersaint-Eloy. Les deux premiers sont d’anciennes terres nobles qui, comme le bourg lui-même, relevaient autrefois du roi et de l’évêché de Quimper. Le bourg regagné, je quitte mon guide qui m’a raconté en quelques mots simples son existence de travail, lui boulanger à Glomel, sa femme couturière à Rostrenen.

De Rostrenen, il me faut faire un voyage en zigzags pour explorer la partie de la Bretagne du centre qui forme le sud du département des Côtes-du-Nord. Je me propose de toucher aux quatre coins du quadrilatère formé par Saint-Nicolas-du-Pelem, Goarec, Mur, Corlay, pour de là gagner Quintin.

Je commence donc par Saint-Nicolas-du-Pelem. Trajet monotone, en passant par quelques hameaux, des fermes. Beaucoup de cavaliers. C’est le pays des chevaux. Le bourg de Saint-Nicolas est sur une hauteur que surplombait, au xve siècle, un château fort, aujourd’hui disparu. Le souvenir seul de l’un de ses maîtres a