Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/558

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persisté, le fameux Fontenelle, dont la cruauté est restée légendaire. Toute sa vie se passa à dévaliser, piller, violer. Il avait enlevé une fillette qu’il fit élever dans un couvent, qui devint sa femme, et dont il sut se faire aimer avec passion. Quand Fontenelle prenait un château, dit un des raconteurs de la Bretagne, Pitre-Chevalier, « il torturait le seigneur jusqu’à ce que celui-ci, porté de chambre en chambre, eût découvert et livré tous ses trésors. Puis le brigand faisait venir la châtelaine, si elle était jolie, et ses enfants si elle en avait, il poignardait l’époux sous les yeux de la femme, déshonorait celle-ci sur le cadavre palpitant, attachait au cou des enfants des chats furieux, et s’enivrait avec ses soldats entre ses victimes mortes et ses victimes expirantes. » Voilà le rêve de sang et d’horreur qui flotte sur le bourg endormi. L’église possède une belle verrière, mais la vraie curiosité est la chapelle Saint-Éloy, lieu de pèlerinage où l’on amène les chevaux pour les rendre vigoureux, les préserver des maladies. La légende raconte que saint Éloy, établi maréchal-ferrant dans la région, avait écrit sur son enseigne : « Maître sur maître et maître sur tous. » Pour le punir de son orgueil, Dieu le Père lui envoya son fils, sous la forme d’un compagnon forgeron. Assez mal accueilli, Jésus est tout de même embauché et mis en demeure de prouver son savoir en ferrant un cheval de prix qui se trouvait à la porte. D’un coup de gouge, il coupe la jambe du cheval au paturon, emporte le sabot, taille la corne, y cloue un fer neuf et remet le pied en place. Éloy veut l’imiter, mais le sang coule de la plaie du cheval estropié. Éloy s’humilie devant son ouvrier qui répare le mal. Une sculpture grossière, le « Miracle de saint Éloy », placée dans la chapelle, évoque cette scène, grossière aussi.

La route, pour aller à Goarec, suit la rivière de Corlay qui rencontre le Blavet. On va en pente légère à travers des prairies, des champs et des landes, couverts d’ajoncs fleuris et de fougères. Goarec est bâti dans un fond où passe le canal grossi du Blavet. C’était autrefois un pays perdu, isolé de tout, faute de routes. On y parvient facilement aujourd’hui par des chemins taillés hardiment dans le roc à coups de mines. Les maisons, bâties en pierre schisteuse, sont presque toutes entourées de jardins ou de vergers. Vers le centre, en contre-bas, une place où se dresse la halle construite en charpente et, en face, l’ancien pavillon de chasse des Rohan. Rien de curieux à l’église. La renommée de Goarec, c’est, comme dans tout ce pays, l’élevage des chevaux qui a remplacé celui des porcs. Des courses y sont organisées chaque année. Le propriétaire du cheval vainqueur reçoit, suivant l’importance des ressources de la Société, un bœuf ou un mouton. Faut-il dire que ces courses n’ont pas l’aspect des fêtes de Longchamps et d’Auteuil, que les jockeys multicolores en sont absents. Mais les cavaliers sont hardis et habiles. Goarec est le pays natal d’Audrein, intéressant personnage qui fut d’abord professeur de cinquième au collège de Quimper, préfet des études au collège Louis-le-Grand, député du Morbihan à la Convention, votant de la mort de Louis XVI, puis qui entra dans les ordres, fut nommé évêque constitutionnel de Quimper et assassiné, en 1800, par les chouans pendant qu’il voyageait en diligence pour prendre possession de son siège épiscopal.

MARCHÉ AUX CHEVAUX, À CARHAIX, DEVANT L’ÉGLISE.

La route de Goarec à Mur est magnifique, domine la forêt de Quénécan, étendue sur 3 600 hectares, et dont la masse sombre s’aperçoit presque de tous les points du joli hameau le bien nommé de Bon-Repos. Mur de Bretagne, qui est le digne point d’arrivée de cette belle route, se hisse sur un plateau entouré de chênes et de châtaigniers et forme deux parties, dont l’une, la plus haute, est Sainte-Suzanne. Les maisons sont groupées en désordre autour d’une place où se trouve une halle. Mur, si les touristes ne s’en allaient pas toujours vers les plages encombrées et consen-