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Or la France paraît éminemment désignée pour remplir à l’égard de ce pays un rôle bienfaisant ; ses visées ambitieuses ne s’étendent pas au nord de l’Asie et ne dépassent pas le sud de la Chine, sur les frontières du Tonkin ; c’est peut-être la seule puissance de l’Occident de la part de laquelle il n’y ait pas lieu de craindre une menace, une tentative d’annexion ou de protectorat.

L’Allemagne est bien connue pour ses appétits de jeune puissance coloniale ; la guerre du Transvaal a confirmé la réputation de l’Angleterre ; l’occupation récente de la Mandchourie a rapproché la Russie de la Corée et, par suite, multiplié les chances de conflit ; enfin l’ambition du Japon était telle, qu’il fallait l’intervention de trois puissances en 1896 pour la restreindre dans les limites raisonnables. Ainsi, la France ne peut être soupçonnée d’aucune arrière-pensée dans ses efforts pour civiliser la Corée : elle y pratiquera la politique des mains nettes, et son influence ne s’y développera pas aux dépens de celle de l’empereur Li-Hsi. D’autre part, sa culture intellectuelle supérieure lui permet de jouer ce rôle d’éducatrice désintéressée ; elle n’est au-dessous d’aucune autre nation dans les arts, l’industrie et l’habileté à mettre en exploitation les richesses d’un pays. On comprend que toutes ces raisons, d’ordre moral et politique, aient frappé l’esprit de l’empereur et l’aient engagé à s’adresser à notre Gouvernement pour lui demander son aide et son concours.

JARDINS DU VIEUX PALAIS ; LES PONTS DE BOIS S’EFFRITENT ; LES EAUX SE COUVRENT DE NÉNUPHARS… — DESSIN DE TAYLOR.

Aussi, secondant à ce point de vue les idées personnelles de l’empereur, notre chargé d’affaires est-il parvenu à établir notre influence sur des bases assez sérieuses et à développer nos intérêts non seulement moraux, mais aussi économiques.

Il faut féliciter notre Gouvernement d’avoir laissé à Séoul le même représentant depuis de nombreuses années ; M. de P… a gagné en Corée ses principaux grades dans la carrière diplomatique et consulaire, — consul, consul général, chargé d’affaires, ministre plénipotentiaire ; — une telle suite dans les idées a produits d’heureux résultats ; l’autorité de notre ministre est grande et lui a permis d’obtenir des succès marqués. On me permettra donc d’insister sur ce sujet ; mes lecteurs seront étonnés d’apprendre qu’à Séoul, dans cette presqu’île reculée, située à l’extrémité du monde, la colonie française occupe une place brillante, peut-être jalousée. J’ai déjà parlé de l’école française qui instruit de jeunes Coréens aimant notre pays.

LES SUPPLICES CHINOIS SONT TOUJOURS EN HONNEUR. — PHOTOGRAPHIE DE M. J. DE PANGE.

Lorsqu’il fut question, il y a deux ans, de faire entrer la Corée dans l’Union postale universelle, il fallut non seulement réorganiser, mais créer le service des Postes et des Télégraphes qui se faisait par l’intermédiaire du Japon. Le Gouvernement coréen s’adressa à la France, afin d’obtenir un agent qui prendrait le titre de conseiller postal. Celui-ci fut envoyé par son ministère, et, malgré certaines compétitions locales, il a réussi à installer son service d’une façon aussi parfaite qu’en Europe. Peu à peu, les bureaux de poste se multiplient dans la presqu’île ; les lignes de télégraphe étendent leurs fils dans toutes les directions ; les Coréens, parlant français, sont choisis de préférence comme employés, et les philatélistes ont la joie de pouvoir ajouter un timbre de plus à leur collection. N’était la concurrence japonaise, la situation financière du ministère des Postes et Télégraphes serait bril-