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grands, à faire croire qu’ils remplissent leurs maisons, du rez-de-chaussée au toit. Les petits garçons et les petites filles paraissent les seuls habitants logiques, les petits garçons coiffés de chapeaux de paille à larges et longs rubans de velours noir, vêtus de courtes vestes et de longs pantalons, les petites filles en coiffes, en robes longues placardées d’un tablier à poches, avec bavette sur la poitrine. On songe sans cesse, à voir ces petits bonshommes et ces petites bonnes femmes, à la famille du Petit Poucet et à la maison de l’Ogre, qui doit être là-bas, quelque part, au fond de quelque sombre bois de sapins où l’on voit briller une lumière.

L’histoire réelle d’Auray comporte d’autres aspects : en 1341, un siège par Jean de Montfort ; en 1342, un autre siège, par Charles de Blois ; en 1364, un retour offensif de Jean de Montfort, et, comme conclusion, la bataille d’Auray, où les troupes de Montfort, commandées par Chandos et Clisson, vainquirent l’armée de Charles de Blois, commandée par Du Guesclin. Charles de Blois fut tué, Du Guesclin fut fait prisonnier, et Jean de Montfort fut duc de Bretagne. Auray fut aussi un enjeu des guerres de la Ligue, et enfin, sous la Révolution, on y garda et jugea les prisonniers faits à Quiberon.

Il y a peu de monuments à Auray : dans le vieux quartier, l’église Saint-Goustan, ancienne, mais réparée, ; dans le quartier moins vieux, l’église Saint-Gildas, mieux conservée, et datée de la Renaissance ; et d’autres églises, et des chapelles. La célébrité d’Auray, c’est son pardon qui a lieu tous les ans, le 26 juillet.

Ce pardon d’Auray n’a pas lieu précisément à Auray, mais à trois kilomètres au sud de la ville, au lieu dit de Sainte-Anne-d’Auray. C’est là qu’a été bâtie la chapelle Sainte-Anne, née d’une légende du xviie siècle. Son auteur est un paysan, Yves Nicolazic, qui vivait au petit village de Kerenna. On nous présente ce Nicolazic comme un homme pieux et sage, faisant l’aumône, souvent pris comme juge des différends. Un soir, ou plutôt une nuit, qu’il revenait d’Auray à Kerenna, il eut une hallucination, il vit la lumière d’un cierge qui accompagnait sa marche, et une main de femme qui sortait d’un nuage et qui tenait ce cierge. Il en fut ainsi les nuits suivantes, hors de chez lui, puis dans son logis. Une nuit, enfin, qu’il menait ses bœufs à la fontaine, il vit, dans une nuée lumineuse, la belle dame de tous les miracles, et il reconnut sainte Anne. Le lendemain, Nicolazic fit part de sa vision à son curé, dom Sylvestre Rodüez, qui voulut le dissuader, lui affirmant que les saints ne se révélaient pas à des ignorants comme lui. Le visionnaire revit encore sainte Anne dans son champ de Bocenno, et cette fois il n’y eut pas hallucination visuelle, il y eut hallucination auditive : sainte Anne révéla à Nicolazic qu’une chapelle bâtie en son honneur s’élevait autrefois, il y avait dix siècles, sur la terre de Bocenno, et qu’il fallait rebâtir cette chapelle. Une étoile parut alors, qui descendit sur le champ, pénétra dans la terre, et ce fut à cet endroit précis que Nicolazic fit des fouilles et trouva une vieille statue de sainte Anne. Il lui donna comme demeure une cabane de branches, qui, les offrandes venues, devint une chapelle à laquelle on adjoignit un couvent de carmes.

La fontaine est toujours visible, mais elle est encadrée de pierres de taille, se répand dans trois bassins auxquels on accède par des escaliers. La statue de sainte Anne se dresse sur un piédestal, au centre de l’un de ces bassins. Une autre statue énorme surmonte la tour de l’église, refaite en 1866, vaste édifice aux murs couverts d’ex-voto. Derrière la basilique, un cloître, un calvaire où quelque fillette vient planter des épingles pour se marier dans l’année. Sainte-Anne-d’Auray montre aussi le monument du comte de Chambord, revêtu du costume royal qu’il n’a jamais porté, le piédestal flanqué des statues de Du Guesclin, Bayard, sainte Geneviève et Jeanne d’Arc ; enfin, la Scala sancta, sorte d’église en plein air, espace clos de mur, autel placé sous une coupole pour la messe que vient entendre la foule. Tel est le décor, mais il faut dire le spectacle.

LE CLOÎTRE DE LA CHARTREUSE D’AURAY.

J’ai d’abord vu un raccourci du pèlerinage, dans un wagon de troisième classe rempli de pèlerins, entassés pêle-mêle, qui portaient le costume de Quimper.