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Ils pêchent dans la rade du Palais, ou plus au large, jettent le chalut, relèvent des casiers, cherchant les courants et les meilleures places. Cette fois, la sardine abonde, et la barque est bientôt pleine. Le joli poisson vert, bleuâtre, argenté avec des nuances roses ! Et le bon poisson, grillé, ou frit, ou bouilli ! Mais il y en a tant et tant que l’on en est bien vite rassasié, et que l’odeur de ce joli, bon et frais poisson devient insupportable ; on finit, pour se distraire de cette nourriture monotone, au parfum trop fort, par demander des sardines à l’huile, pour changer. Mais une nuit et une matinée de pêche, voilà le vrai plaisir, pour quelqu’un qui n’est pas un pécheur, et qui n’évalue pas le poisson dont il aura le tiers en paiement. La nuit, cette mer du mois d’août est délicieuse, d’un bleu profond et puissant dans les parties d’ombre, d’un bleu argenté sous la lumière de la lune. Là, on peut connaître la légèreté et la vivacité d’un air sans poussière, imprégné de fine salure, la brise bienfaisante qui emporte au large l’odeur de la rogue qui sert à prendre les poissons, et l’odeur des poissons aussi. Le soleil se lève, et c’est une autre fête, celle de la lumière grandissante, et c’est toujours le même air limpide et fort qui gonfle la voile lorsque nous rentrons au Palais, vers midi. Tous les bateaux, partis en même temps, rentrent à la fois, et c’est une joie que de les voir venir de toutes les directions vers l’entrée du port, se hâtant comme s’ils obéissaient à un signal. C’est un signal, en effet, qui les rappelle, c’est le désir d’arriver et de vendre, les uns aux usines, les autres aux marchands et aux hôtels, tandis que d’autres encore s’en remettent de ce soin aux gens qui les emploient. On déjeune au fond de la barque, ou dans l’un de ces « débits » où le marin sait qu’il peut cuire son poisson, d’après l’enseigne mise au-dessus de la porte : Fait chaudière. Ou bien encore le pêcheur s’en va vers la maisonnette des champs où la femme et les enfants l’attendent.

À BELLE-ÎLE : LA CÔTE DITE DE LA MER SAUVAGE.

Le Palais n’est pas seulement un port animé par le mouvement de la pêche, c’est aussi une ville qui a son existence particulière et qui se présente dans un cadre intéressant. Ce cadre est d’un style où se mélangent le XVIe et le XVIIe siècle. Vauban a passé par là, a continué les travaux du maréchal de Retz et du surintendant Fouquet, a donné son caractère à la citadelle, a creusé un bassin, dit la Belle-Fontaine, d’une contenance de près de 8 000 hectolitres, pour la provision d’eau des navires.

Auprès de la citadelle, le pénitencier est occupé par une colonie de jeunes détenus, pupilles de la Seine, atteints de peines disciplinaires, et que l’on envoie là pour essayer de modifier leur instinct, d’adoucir leur violence par un changement subit d’existence, par le grand air et la mer. On en fait des ouvriers, des jardiniers, des rameurs et des pêcheurs, on en fait même des musiciens : un orphéon s’est formé parmi eux. Là furent envoyés aussi, par jugement de la Haute-Cour de Bourges, siégeant en 1849, les condamnés pour l’affaire du 15 mai 1848. Barbès fut du premier lot de prisonniers. Blanqui ne vint qu’en 1850. Celui-ci fit un stage au Château-Fouquet, belle maison seigneuriale ombragée d’ormes où habita le surintendant de Louis XIV. Au Pénitencier, où il fut mis en février 1851, il y avait six cents condamnés politiques. Le souvenir de leur séjour est resté assez vif chez de vieux habitants du Palais. Je visite les anciennes cellules, je parcours les couloirs, les cours, le préau herbu, je recueille des renseignements, — vérifiés et augmentés ensuite par la lecture des papiers de Blanqui. Ce pénitencier fut une ville politique. Le différend entre Barbès et Blanqui passionna les détenus, et il y eut des réunions orageuses, comme dans les clubs de Paris. Blanqui fit un cours d’économie sociale aux détenus, deux fois par semaine. Il y eut parfois le contre-coup des agitations du dehors, il y eut aussi des distractions, des chants, des jeux, des promenades dans le grand préau de 250 mètres de longueur sur 125 mètres de large. Les condamnés politiques, anciens