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triangulaire de son attique et son stylobate richement décoré. L’ornementation est fort belle ; les voûtes à caissons des arcades, les combats où Romains et Gaulois s’agitent en d’impressionnantes mêlées, les trophées et les attributs guerriers donnent une haute idée de cet art ancien de la sculpture qu’on aurait peine à égaler de nos jours et pas n’est besoin d’être archéologue pour sentir profondément toute la noblesse de cette œuvre que dix-neuf siècles ont respectée.

En regagnant la ville et en la traversant dans toute sa longueur, on trouve, au pied de la colline de Saint-Eutrope, un autre monument remarquable et plus rare encore, le Théâtre romain. L’on aurait également à déplorer ici le vandalisme des siècles passés si l’architecte Caristie n’avait entrepris, dans la première moitié du siècle dernier, de déblayer cette imposante ruine des constructions parasites qui l’étouffaient. Tour à tour château fortifié, puis carrière inépuisable offrant à des maçons barbares des matériaux tout préparés, réduit enfin à l’état de véritable cour des miracles où plus de 50 masures avaient assis sur les gradins croulants leurs murailles sordides, le théâtre est réapparu sous le rutilant soleil de Provence non pas, sans doute, tel exactement qu’il était au temps des Romains, mais dans un suffisant ensemble pour qu’il soit facile, même aux profanes, de reconstituer par la pensée son imposante ordonnance. Le gigantesque mur de façade, long de 103 m. 15, haut de 36 m. 82, est demeuré relativement intact. Il se compose de trois étages, soit un rez-de-chaussée percé de 19 ouvertures (16 en plein cintre et 3 rectangulaires), un premier étage décoré de 21 arcades aveugles et un second étage, sans ornement, où se voient toujours, sur deux rangées, les corbeaux qui servaient à placer les mats du velarium. Ce mur forme la corde d’un are de cercle immense que dessinent les murs latéraux dont les arcades superposées entourent les gradins de l’amphithéâtre et s’adossent à la colline. Les gradins, partiellement réparés, s’étagent en trois séries dont la première seule comporte 21 rangs. En avant, la scène a été conservée presque intacte. Mais il ne faudrait pas défigurer à jamais le monument par quelqu’une de ces restaurations complètes dont le Ministère des Beaux-Arts a souvent peine à protéger les ouvrages du passé. Et puis, osons donc dire que les représentations modernes que l’on donne et que l’on voudrait multiplier dans un tel cadre constituent un anachronisme auquel l’art n’a rien à gagner.

L’ARC D’ORANGE EST L’UN DES PLUS BEAU QUE POSSÈDE LA FRANCE (page 254).

Quelles heures intéressantes nous avons passées à parcourir toutes les parties de l’imposant édifice, pénétrant par les deux portes latérales où s’engouffraient, les jours de représentation, près de 7 000 spectateurs, nous engageant sous les couloirs routés qui conduisaient à l’orchestre, escaladant les gradins que l’on gagnait par les vomitoria, puis, pour saisir de plus près les détails de la scène, redescendant aux degrés inférieurs dont l’accès, tout proche du proscenium, était réservé aux chevaliers privilégiés ! Le mur de scène est devant nous, derrière lequel étaient les loves des acteurs et les boutiques des marchands, et si nous pouvons voir encore les trois portes par où les acteurs entraient en scène, la niche où trônait dans sa majesté rigide la statue impériale, combien nous regrettons les trois rangs de colonnes superposées qui devaient constituer une décoration magnifique dont les deux colonnes, restées seules debout, ne donnent qu’une faible idée !

Le théâtre d’Orange est un vestige palpitant d’une civilisation disparue. Pour le revoir dans son ensemble, il faut monter à la colline Saint-Eutrope qui le domine en surplomb et finir là sa journée. On y