Page:Le Tour du monde - 01.djvu/180

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ils ont été exterminés jusqu’au dernier par les empereurs Taïko et Yéyas, et la fin de l’année 1640 en a vu périr trente-sept mille en un jour, enfermés dans le château de Simabara, et pris d’assaut après une résistance opiniâtre. De nos jours, trois ou quatre missionnaires français, jetés dans les îles Liou-tchou, archipel tout à fait tributaire du Japon et de la Chine, et sentinelles avancées du christianisme dans l’extrême Orient, attendent avec une religieuse impatience le moment de marcher sur les traces du grand apôtre des Indes. Mais leur zèle, jusqu’ici, est bien infructueux.

Dame japonaise. — Dessin de Morin, d’après M. de Trévise.

Une armée de satellites est, nuit et jour, occupée à empêcher toute communication de leur part avec les insulaires. Leurs domestiques sont sans cesse renouvelés. Toutes les maisons qui ouvraient du côté de leur modeste demeure ont muré leurs fenêtres et leurs portes, et ont tourné leurs issues de l’autre côté. Lorsqu’ils sortent pour se promener dans la campagne, chacun a ordre de s’éloigner sur leur passage, et la réponse unique et invariable à toutes les questions est celle-ci : « Je ne comprends pas. » Pour quiconque n’a point vu à l’œuvre le gouvernement japonais, et ne s’est point aperçu de l’indicible frayeur que lui inspirent les puissances européennes, une telle conduite est inexplicable. Aux yeux du taïcoun, le missionnaire est un agent de l’étranger, un espion chargé d’indiquer aux Européens les côtés faibles du Japon, et de faciliter une invasion.

Il n’y a point d’armée permanente au Japon. Tous les gens à deux sabres, qui forment la suite des princes et des gouverneurs en temps de paix, deviennent soldats en temps de guerre. Ils sont très-braves individuellement ; mais, avec leurs armes blanches, ils pourraient difficilement lutter contre la tactique européenne. On dit cependant que, se voyant débordés, ils lisent avec beaucoup d’attention, depuis quelque temps, les livres de stratégie. Le Japon se sent entamé par l’Europe, et il est dans ce moment en proie à une certaine anxiété. Il comprend qu’avec ses arcs et ses flèches il ne pourrait résister aux carabines Minié et aux obus, et il cherche à se mettre au courant de l’état actuel de la science navale et de l’art militaire. Pour avoir des soldats, il lui faudra avant tout renoncer aux sandales, aux pantalons bouffants et aux longues robes traînantes ; mais il est prêt, dans ce but, à faire tous les sacrifices. Les Japonais n’ont point, comme les Chinois, le sot préjugé de se croire et de se proclamer supérieurs à tous les autres peuples. Ils se mettent au-dessus des Chinois et des Coréens, mais ils estiment les puissances de l’Occident à leur juste valeur. > Au Japon, on se tranche l’artère carotide, ou l’on se la fait trancher par un ami ; mais on ne fait plus que mine de s’ouvrir le ventre. Évidemment, c’est un ancien usage qui passe de mode. De même que nous avons, en Europe, des maîtres de danse et d’escrime, il y a néanmoins encore, au Japon, des maîtres dans l’art de s’ouvrir le ventre. Cette connaissance fait partie d’une belle éducation, et est fort prisée des jeunes nobles. C’est sou-