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maisons de neige, fumant la pipe, chassant les rennes, etc., avait passé un hiver dans ces régions et n’avait perdu personne.

« Leurs parages, abondants en grands cétacés, sont fréquentés par les baleiniers, chaque fois que l’état de la glace le permet, et nous trouvâmes chez les indigènes une quantité considérable de côtes de baleines et de cornes de narvals, qu’ils étaient fort désireux d’échanger contre des couteaux, du fil, des scies, des carabines et de la laine. Ils nous tracèrent des cartes grossières de l’entrée de Pond, nous montrant qu’elle conduisait à un large détroit situé à l’ouest du passage du Prince-Régent.

« Nous ne pûmes que regretter qu’aucun de nos amis baleiniers, de qui nous avions récemment reçu tant de preuves d’amitié, ne se trouvât pas là pour profiter d’une occasion aussi favorable. Laissant Pond’s-Inlet le 6 août, nous arrivâmes au mouillage de l’île Beechey le 11, et nous déposâmes à terre, et tout auprès de la stèle funéraire élevée à la mémoire du noble français Bellot par les soins de sir John Barrow, la belle table de marbre, envoyée dans ce but par lady Franklin, et portant, à la mémoire des équipages de l’Érèbe et la Terror une inscription que nous reproduisons textuellement :

À LA MÉMOIRE DE

FRANKLIN,
CROZIER, FITZJAMES

ET DE TOUS LEURS VAILLANTS FRÈRES,
OFFICIERS ET FIDÈLES COMPAGNONS, QUI ONT SOUFFERT ET PÉRI
POUR LA CAUSE DE LA SCIENCE ET POUR LA GLOIRE DE LEUR PATRIE.
CETTE PIERRE
EST ÉRIGÉE PRÈS DU LIEU OU ILS ONT PASSÉ
LEUR PREMIER HIVER ARCTIQUE
ET D’OÙ ILS SONT PARTIS POUR TRIOMPHER DES OBSTACLES
OU POUR MOURIR.
ELLE CONSACRE LE SOUVENIR DE LEURS COMPATRIOTES ET AMIS
QUI LES ADMIRENT,
ET DE L’ANGOISSE MAÎTRISÉE PAR LA FOI
DE CELLE QUI A PERDU DANS LE CHEF DE L’EXPÉDITION
LE PLUS DÉVOUÉ ET LE PLUS AFFECTIONNÉ DES ÉPOUX.

C’EST AINSI QU’IL LES CONDUISIT
AU PORT SUPRÊME OU TOUS REPOSENT.
1855.

« Les provisions et magasins laissés sur l’île par les expéditions précédentes nous semblèrent en bon état ; seul un petit bateau, retourné et jeté à la côte par un orage, avait souffert quelques dégâts. Nous fîmes aux toits des maisons les réparations nécessaires ; puis après avoir embarqué du charbon et des provisions dont nous avions besoin, nous gagnâmes, le 17 août, et par une bonne traversée de 25 milles, le détroit de Peel ; mais le trouvant entièrement obstrué de glaces encore solides, je résolus de me diriger vers le détroit de Bellot. En chemin j’examinai les provisions qui restaient au Port-Léopold, et j’y laissai un bateau baleinier que j’avais amené, dans ce but, du cap Hotham, pour aider à notre retraite, dans le cas ou je serais plus tard dans la nécessité d’abandonner le Fox. Nous trouvâmes le canal du Prince-Régent sans aucune glace, et nous n’en aperçûmes que très-peu durant notre traversée pour nous rendre à la baie de Brentford, où nous arrivâmes le 20 août.

« Le détroit de Bellot, qui communique avec la mer de l’Ouest, à une largeur moyenne d’un mille sur dix-sept ou dix-huit de long. À cette époque, il était rempli de glaçons en dérive ; mais à mesure que la saison avança, il devint plus navigable. En plusieurs endroits, ses rives sont bordées de rochers escarpés et de blocs de granit, et quelques-unes des montagnes voisines s’élèvent à la hauteur de 1600 pieds. Les marées y sont très-fortes en été, courant de six à sept nœuds à l’heure.

« Le 6 septembre, ayant franchi le détroit de Bellot sans encombrement, nous assurâmes le navire au milieu des glaces fixes. Là, et jusqu’au 27, jour où je crus nécessaire de gagner nos quartiers d’hiver, nous avons constamment observé les mouvements de la glace dans les eaux qui nous entouraient. Au milieu du détroit, elle flottait en fragments épars.

« Peu à peu, l’eau augmenta, et il ne resta plus devant nous qu’une zone de glaces de trois ou quatre milles d’étendue seulement ; mais qui, soutenue par les petits îlots, résista à l’action dissolvante des pluies et à la violence des vents d’automne. Attendre de jour en jour que le passage fût libre pour nous remettre à flot et ne pouvoir y parvenir, bien que les vagues vinssent baigner le pied des rochers qui se trouvaient à quelques milles de nous, au midi, était un vrai supplice de Tantale.

« Pendant l’automne et tant que la lumière du jour nous le permit, nous nous efforçâmes de transporter des dépôts de provisions du côté du pôle magnétique, dans le but de faciliter d’autant nos opérations projetées pour le printemps. Mais nous ne pûmes réussir, par suite de la rupture des glaces dans cette direction. Le lieutenant Hobson et ses hommes revinrent en traîneau au mois de novembre, après avoir beaucoup souffert du mauvais temps et couru les plus grands dangers, car la glace sur laquelle ils étaient campés se détacha une fois du rivage, et les entraîna au large avec elle.

« Ainsi l’hiver nous surprit a l’entrée est du détroit de Bellot, dans un petit port abrité que j’ai nommé port Kennedy, d’après le digne officier anglais qui explora ces parages en 1851, en compagnie du lieutenant français. Il se trouve presque au point de jonction du calcaire des basses plages septentrionales de la baie Brentford, avec les hautes chaînes granitiques qui forment la charpente de l’intérieur ainsi que les falaises escarpées des rivages occidentaux de Boothia et du North-Somerset.

« Quoique la végétation des bords du détroit soit relativement abondante, et que nos deux chasseurs esquimaux et plusieurs autres aient toujours été en quête ou sur le qui-vive, néanmoins les ressources que nous avons retirées du pays, pendant onze mois et demi, n’ont formé qu’un total de huit rennes, deux ours, dix-huit veaux marins et quelques poules d’eau, les fréquentes tempêtes qui balayent ces parages en écartant sans doute les êtres animés.