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Page:Le Tour du monde - 01.djvu/282

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LE CAPITAINE PALLISER

ET
L’EXPLORATION DES MONTAGNES ROCHEUSES[1].
1857-1859.


I

Le capitaine Palliser. — Son voyage aux États-Unis. — La Nouvelle-Orléans. — Une aventure. — M. Palliser part pour le Haut-Missouri. Ses chasses à l’ours et au bison. — Une nuit dans les prairies. Deux jours de diète. — Retour dans le sud. — La ménagerie du capitaine. — Il s’empare, chemin faisant, d’une citadelle Néo-Grenadine. — M. Palliser se dispose à explorer les montagnes Rocheuses. Personnel de l’expédition. — Son départ.

Le capitaine Palliser est grand chasseur. Un soir qu’il s’ennuyait à Londres, il lui prit fantaisie d’aller s’exercer la main aux dépens des bisons, des panthères et des ours gris du nouveau monde. Il s’embarqua à Liverpool et le hasard lui donna pour compagnon de voyage une célébrité lilliputienne, originaire du Canada, le fameux et microscopique général Tom Pouce. Ce fut une distraction pendant la traversée. Tom Pouce, peu soucieux de la dignité de son grade, grimpait lestement sur le dos de M. Palliser, faisait de la voltige sur ses épaules, puis, prenant un vigoureux élan, disparaissait, la tête la première, dans les profondeurs d’une de ses poches. Les deux amis se séparèrent à Halifax, le général restant au Canada, le capitaine continuant jusqu’à Boston, pour gagner rapidement, par New-York, Baltimore, Cumberland et Wheeling, la riche vallée de l’Ohio. Dieu sait ce que c’est que la diligence qui fait le trajet de Cumberland à Wheeling, quels cahots, quels effroyables heurts sont le partage du voyageur, lorsque la massive voiture est lancée à toute vitesse sur les routes primitives qui traversent les Alléghanis ! M. Palliser s’en souvient sans doute encore. Heureusement qu’au delà commençait la route fluviale. Pour gagner la Nouvelle-Orléans, il n’avait plus qu’à se laisser emporter par un de ces steamers frémissants, tout blancs d’écume et de vapeur, qui bondissent, plutôt qu’ils ne naviguent, sur les grands cours d’eau des États-Unis. Go a head ! c’est la devise du Yankee ; c’est aussi le cri du commandant qui n’entend pas perdre son temps, ni se laisser dépasser par un concurrent. On chauffe, on force de vapeur, les rives se déroulent, incessamment variées ; les villes et les villages, à peine entrevus, disparaissent, et si l’on saute quelquefois, on arrive le plus souvent. Le capitaine Palliser arriva.

Nous avons déjà parlé de cette merveilleuse cité qu’on appelle la Nouvelle-Orléans, mollement assise aux bords du golfe du Mexique, au milieu de ses forêts d’orangers, moitié américaine, moitié créole, moitié angle-saxonne, moitié espagnole (voy. p. 189). Les deux races ne sont pas mêlées, elles ont leurs mœurs à elles, comme leurs quartiers distincts. Ici, la ville anglaise avec ses maisons anglaises, ses enseignes anglaises, la vie de Washington ou de Boston ; là, la ville créole, avec sa vieille architecture, ses verandahs, ses habitations en bois, la vie de la Havane ou de la Pointe-à-Pitre, vie facile s’il en fut, témoin cette aventure que nous raconte le capitaine. Il avait passé la soirée dehors et rentrait chez lui au clair de lune, un clair de lune des tropiques. La chaleur était suffocante ; tout le long de la rue Royale, portes et fenêtres étaient ouvertes ; les rideaux de mousseline flottaient à tous les étages, comme pour appeler la brise de la mer. Arrivé la veille, M. Palliser cherchait sa porte, un peu distrait sans doute par les merveilleux effets de lumière que favorisait cette belle nuit. Croyant enfin la reconnaître, il s’engage sous une verandah, monte un escalier et pénètre dans une succession de pièces dont les dorures brillaient aux rayons de la lune.

« Qui est là ? » crie tout à coup une petite voix de femme.

Le capitaine se confond en excuses, il explique sa mésaventure, il dit comment, nouveau venu, il s’est perdu dans la ville sans pouvoir gagner son gîte.

« Qu’à cela ne tienne, reprend la petite voix devenue rieuse ; on vous logera ; mon frère est à la campagne ; prenez sa chambre. La première à droite et la deuxième a gauche. Ah ! j’y songe, et de la lumière ? attendez. »

Et l’on entendit derrière la porte le frottement d’une allumette ; et la porte s’entrouvrit, juste assez pour laisser passer d’abord une bougie allumée, puis une main charmante, puis une manchette de dentelles.

« Bonsoir, maintenant. »

Le capitaine trouva la chambre, il y dormit d’un bon

  1. L’Amérique, composée de deux presqu’îles réunies par un isthme, a une charpente nettement marquée. C’est, à partir du cap Froward (détroit de Magellan) jusqu’au cap du Prince de Galles, une longue chaîne très voisine du Grand Océan et très-éloignée de l’océan Atlantique, laquelle forme la ligne de partage des eaux et divise par conséquent chacune des deux presqu’îles en doux versants différents, l’un très-rapide et très-étroit, vers le Grand Océan, et privé presque entièrement de grands cours d’eau ; l’autre très-doux et très-large, vers l’océan Atlantique, et sillonné par les plus grands fleuves du monde.

    On appelle montagnes Rocheuses la partie la plus septentrionale de la chaîne, celle qui est comprise entre le cap du Prince de Galles et le 40e degré de latitude, suivant les uns, la frontière du Mexique suivant les autres.