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grand mérite, M. Labouchère, et administré par un sous-secrétaire d’État, aussi apprécié de ses amis qu’estimé du monde savant, M. J. Ball, membre du parlement pour le comté de Carlow. Je ne crois pas me tromper en attribuant à leur sollicitude éclairée l’ouverture d’un crédit de 125 000 fr., qui fut alloué à M. Palliser pour lui faciliter son entreprise et la rendre plus profitable aux progrès de la science. Grace à cet heureux concours de circonstances, le capitaine put se munir de beaucoup d’instruments de précision et augmenter le personnel de l’expédition.

M. Palliser prit la mer le 9 mai 1857, emmenant avec lui son secrétaire, M. Sullivan, le docteur Hector pour la géologie et la zoologie, et M. Bourgeau pour la botanique.

Les futurs explorateurs des montagnes Rocheuses arrivèrent à New-York le 28 mai, à Sault-Sainte-Marie le 10 juin, au fort William, sur le lac Supérieur, le 12 du même mois, et se trouvaient réunis à l’établissement de la rivière Rouge, le 11 juillet.



II

Le lac Supérieur. — Le lac la Pluie. — La rivière la Pluie. — Le lac des Bois. — l’expédition canadienne rencontre les Indiens Saulteux. — La rivière Winnipeg et le lac de ce nom. — Arrivé à l’établissement de la rivière Rouge.

Le capitaine Palliser n’a pas publié le récit de son voyage, et nous ne trouvons dans celles de ses dépêches qui ont été déposées sous les yeux du parlement anglais, que des détails incomplets sur cette première partie de la route. Nous y suppléerons au moyen des travaux d’une autre expédition qui venait d’explorer le même parcours sous les auspices du gouvernement canadien.

Passons rapidement en vue des îles de Terre-Neuve et d’Anticosti ; des villes canadiennes de Québec, de Montréal, de Kingston et de Toronto ; remontons, sans nous arrêter, le grand fleuve Saint-Laurent, les lacs Ontario, Érié et Huron, le canal Lachine, le canal Beauharnais, le canal Farren’s Point, le canal Saint-Iroquois, le canal Welland ; laissons sur notre gauche le lac Michigan, et, au fond de ce lac, Chicago, exemple unique de ce que peut l’activité américaine, une ville de 95 000 âmes qui date de vingt ans, qui en 1836 n’était encore qu’une prairie déserte, et d’où rayonnant aujourd’hui dix-sept lignes de chemins de fer ; entrons dans le lac Supérieur par un dernier canal, le canal du Sault-Sainte-Marie ; et traversons enfin cette mer intérieure qui a cent cinquante lieues de long, plus que la mer d’Aral et la mer d’Azoff. Nous voici au fort William, de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Jusque-là la route est ouverte, la navigation facile, sur l’énorme distance de 1910 milles, soit 764 lieues ou 3056 kilomètres, à peu près équivalente à celle qui sépare à vol d’oiseau Gibraltar et Stockholm.

Au delà, les difficultés commencent. Pour atteindre le lac de la Pluie, en marchant vers l’ouest, il faut franchir la ligne de partage des eaux et passer du bassin du lac Supérieur dans un autre bassin. Telle est toutefois l’abondance des rivières qui sillonnent le pays et des petits lacs qu’elles mettent en communication, que, malgré la différence de niveau, le trajet se fait en canots, sauf de rares interruptions. Ces interruptions résultent, en partie, des rapides qui embarrassent le cours du Kaministiquia, sur le versant oriental, et celui de la rivière Savanne, sur le versant occidental ; en partie, d’une solution de continuité d’une lieue à peine, formant la crête des deux vallées. Sur ces divers points, qu’on appelle des portages, les embarcations sont chargées à dos d’homme, opération toujours difficile et quelquefois dangereuse (voy. p. 281). Quand on voyage à distance, les obstacles ne coûtent guère. Passons donc : descendons la Seine, nom français d’une rivière qui a été française, souvenir lointain de notre puissance dans le nouveau monde, et laissons-nous porter jusqu’au lac de la Pluie (Rainy Lake).

    bisons, et il achète sur place contre ces fiches de bois des haches, de la poudre, du plomb, des fusils, des couvertures ou tous autres objets appropriés à son usage. Si ce commerce produit d’immenses bénéfices, il exerce aussi une heureuse influence sur la population indigène, qui, au lieu d’être traquée comme aux États-Unis et de disparaître à mesure que l’Européen s’avance, vit en paix dans ses forêts. Rien ne serait, à coup sûr, plus injuste que de méconnaître les services rendus par la Compagnie. On conçoit toutefois qu’elle n’ait pas puissamment contribué aux développements de la civilisation. Maîtresse du plus immense terrain de chasse qui existe au monde, son intérêt manifeste est de le défendre contre les tentatives de défrichement. Le monopole qu’elle exerce exclut d’ailleurs cet esprit d’entreprise et cet essor illimité de la liberté individuelle qui seul a peuplé l’Amérique. Enfin, son organisation même la met peu en mesure de s’occuper avec succès de questions étrangères à son industrie. Les facteurs en chef ou les plus anciens employés de la Compagnie, réunis à Norway-House dans le nord, à Moose-Factory dans le sud, suivant que leurs postes sont plus ou moins rapprochés de l’un ou de l’autre de ces points, forment bien, il est vrai, une sorte de législature annuelle : mais tout cela ne constitue, comme l’a fait observer avec beaucoup de raison une revue anglaise, qu’un gouvernement très-imparfait, ou les intérêts commerciaux de la Compagnie sont seuls sérieusement débattus.

    Les inconvénients de ce régime ne pouvaient échapper à l’attention des hommes d’État de la Grande-Bretagne, et une commission spéciale fut nommée en 1857, par M. Labouchère, alors secrétaire d’État des colonies, pour aviser aux moyens d’y remédier. De l’examen approfondi auquel elle se livra, des divers témoignages qu’elle voulut recueillir elle-même de la bouche des personnes les mieux informées, il résulta pour elle cette conviction, qu’il fallait laisser à la Compagnie tout le territoire qui n’offrait aucun avenir à la civilisation, annexer au Canada les terrains susceptibles du défrichement, tels que l’établissement de la rivière Rouge et les districts arrosée par le Saskatchewan, et ériger en colonie séparée l’île de Vancouver. Dès l’année suivante, le gouvernement adoptait une partie de ses conclusions ; il enlevait à la juridiction de la Compagnie le versant occidental des montagnes Rocheuses et en formait deux colonies, relevant directement du Colonial office, l’île conservant son nom, la terre ferme prenant celui de Colombie anglaise. « La mesure qui vient d’être prise, disait le message royal qui l’annonçait aux chambres, était impérieusement réclamée par suite des découvertes aurifères. Mais Sa Majesté espère que ce n’est là qu’un premier pas. Elle compte fermement que ses possessions du Nord-Amérique vont entrer dans une voie nouvelle et qu’il est réservé à l’avenir d’unir, par une chaîne non interrompue de centres populeux, l’Atlantique et le Pacifique. » Ainsi s’exprimait, au nom de la reine, le chancelier de l’échiquier, et il était impossible de mieux poser la question.

    C’est dans ce sens que furent rédigées les instructions de M. Palliser. Il devait explorer les districts compris entre le lac Wlnnipeg et les montagnes Rocheuses, et étudier le tracé de la voie future.