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déchiré, annonçait la plus grande misère. Ces bergers abandonnent leur triste demeure (souvent même cette demeure n’est que la véranda de la première maison venue), munis seulement d’un petit sac de farine de maïs moulu ; et ils suivent ainsi, pendant des semaines et des mois, leur nombreux troupeau sans autre compagnie qu’un chien ou quelque bête favorite, qui leur est parfois ravie par les Indiens ; car ils ne doivent pas compter sur la société de leurs camarades ; il leur est interdit de s’approcher des autres bergers, dans la crainte de mêler les animaux.

Ce troupeau annonçait le voisinage d’un établissement. La caravane ne tarda pas à atteindre Anton-Chico, colonie déjà ancienne, qui n’a pas plus de 300 habitants, en grande partie éleveurs de bétail ou bergers. Sa position d’ailleurs n’est pas avantageuse, et ne lui permet pas d’avoir part au commerce qui se dirige sur Santa-Fé, la ville marchande de l’ouest ; en outre la nature ne l’a pas favorisée. Les maisons, bâties de pierres non passées au feu (adobes), en forme de grands carrés, n’ont ni grâce à l’extérieur ni comfort à l’intérieur ; les murailles au dehors sont tapissées de poivre rouge, dont les Mexicains sont très-friands. L’église est construite dans le même style que les habitations particulières, et avoisine la salle de bal ou de fandango. Nous ne savons si les voyageurs visitèrent le premier de ces monuments ; mais ils assistèrent, dans le second, à un bal donné en leur honneur. Fête curieuse en vérité, à cause du costume et de la tournure des danseurs. « Il avait été défendu d’apporter des armes ; mais les plis des vêtements recélaient par-ci par-là le manche brun d’un revolver ou la pointe acérée d’un couteau. » Les señoritas roulaient dans leurs doigts des cigarettes qu’elles présentaient aux Américains ou qu’elles fumaient elles-mêmes.


Les voyageurs se séparent en deux troupes. — Santo-Domingo. — Costumes. — Habitations. — L’église. — Bande de pillards blancs. — Un procès sommaire.

Ici la troupe se sépara (29 septembre) en deux corps d’expédition, qui devaient se rejoindre à Albuquerque ; celui du lieutenant Whipple (dont faisait partie M. Möllhausen) traversa la vallée pittoresque de Cuesta, à une hauteur de 166m,67 au-dessus du niveau du Pecos ; le défilé de Cañon-Blanco (2233m,34 au-dessus du niveau de la mer) ; le village de Galisteo, dans le voisinage duquel sont quelques volcans éteints ; et, enfin, l’établissement plus important de Santo-Domingo.

Santo-Domingo est une ancienne colonie des Indiens Pueblos. Par la forme et la nature de leur construction, les maisons y ont l’air de ruines. On se croirait aux Gasas-Grandes, sur le Gila, ou au milieu des ruines situées plus loin au sud à Mexico.

Les différents étages s’élèvent en terrasse les uns sur les autres. Sur le toit du premier étage s’élève le second, beaucoup plus petit, et disposé de telle sorte que devant il y a de l’espace pour une petite cour. Et, comme les maisons de la ville sont serrées les unes contre les autres, on a des rues suspendues qui conduisent de portes en portes aux deuxième et troisième étages, et établissent ainsi entre les habitants une communication nécessaire.

« Il n’y a d’ouvertures que dans les étages supérieurs ; pour y parvenir de la rue, on se sert d’échelles qui sont retirées dès que la sécurité l’exige. Dans le plafond du premier étage est pratiqué un orifice pour descendre au rez-de-chaussée ; d’autres échelles mènent de la plate forme du premier sur le toit du second et dans les chambres du troisième.

« Le rez-de-chaussée paraît être exclusivement réservé à garder des provisions ; mais les étages supérieurs sont habités par les propriétaires, qui s’y arrangent de leur mieux. Ils reçoivent le jour par des ouvertures carrées qui, pour éloigner les orages et le froid, sont fermées de carreaux transparents de gypse cristallisé.

« Quand nous arrivâmes, on remarquait peu d’animation dans les rues ; mais presque toute la population s’était rassemblée devant les portes. Elle est la Santo-Domingo de 800 âmes ; et, comme la population mâle sait la langue espagnole, il ne fut pas difficile de s’entretenir avec ceux qui entraient dans notre campement.

« C’étaient des hommes bien bâtis, dont les traits, malgré leur type indien, avait quelque chose d’agréable. Les deux sexes portaient les cheveux longs, ouverts brusquement sur le front, au-dessus des sourcils ; les hommes avaient en outre une queue courte et épaisse, nouée par un ruban rouge. Les costumes étaient variés ; les uns avaient des jaquettes de chasse en cuir d’une teinte brun clair, ornées de franges et de broderies, qui allaient à merveille avec leur habit de dessous, également teint et bordé, à la mode mexicaine, de boutons jaunes et blancs. Les autres n’avaient qu’une couverture à raies jetée autour des épaules ; d’autres étaient simplement vêtus d’une chemise de coton. Les femmes portaient autour des reins un jupon de couleur sombre, qui descendait jusqu’aux pieds ; le haut du corps était enveloppé d’une couverture légère, qu’elles ramenaient par-dessus la tête ou qu’elles attachaient d’une façon pittoresque autour des reins et des épaules. Hommes et femmes avaient aux pieds des mocassins, parfois richement brodés. »

Après avoir bien examiné les Indiens, nos voyageurs se répandirent dans la ville :

« Nous montâmes aux premières échelles que nous rencontrâmes, et nous nous trouvâmes sur une petite cour proprette, entourée d’un parapet ; nous entrâmes sans façon par une porte ouverte qui laissait voir la lueur d’un foyer. Quand les habitants, un jeune homme et deux jeunes filles, nous aperçurent, le premier s’empressa de prendre une couverture ramassée dans un coin et de l’étendre devant le feu, en nous invitant à nous y asseoir. Les jeunes filles, en train de préparer le repas, présentèrent à chacun de nous un gâteau de farine tout chaud (tortillas), et placèrent devant nous un plat avec d’autres pâtisseries, semblables à des guêpiers, qu’elles nous firent signe de manger. La pièce où nous nous trouvions était petite, mais propre ; les peaux et