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l’est à l’ouest s’étendait une autre chaîne peu élevée. Au pied du mont Sitgreaves, on découvrit un petit étang, auquel on donna le nom de New year’s spring, en l’honneur du 1er janvier, bien qu’on fût au 2. Sur la glace de l’étang, on voyait de nombreuses traces d’ours gris ; on gravit les collines voisines pour les chasser ; mais ces animaux, n’ayant plus d’eau, avaient quitté en nombre considérable leur séjour de prédilection, car ils y trouvent en grande quantité les fruits du cèdre dont ils sont très-friands. Ils étaient partis à regret ; la glace portait encore la marque des efforts qu’ils avaient tentés pour en briser la croûte épaisse ; en désespoir de cause, ils avaient abandonné la place ; on lisait sur la neige leur manière de voyager à la file, chacun posant soigneusement la patte dans l’empreinte qu’a laissée la patte de celui qui précède.

Les indigènes des montagnes de San Francisco sont : les Cosninos et les Yampays, de la famille des Apaches, placés au dernier rang de l’échelle sociale. « Comme les Apaches, ils sont pillards, farouches et défiants ; on n’est jamais parvenu à former des relations avec eux ; la vue d’un blanc leur cause de l’effroi ; cependant ils suivent les caravanes pour tuer, de leur cachette, les hommes et les animaux. S’ils avaient des objets précieux capables de tenter l’avidité des blancs, il est probable qu’on aurait renouvelé les tentatives pour les civiliser et qu’on eût réussi ; mais ils présentent l’image de la plus hideuse pauvreté et ne se distinguent des bêtes sauvages que par la parole ; ils sont laids et difformes, ce qui n’étonne nullement quand on songe à leur manière de se nourrir. Les baies des cèdres, les fruits d’une espèce de pin (pinus edulis), le gazon et la racine de l’agave mexicaine, tels sont leurs moyens de subsistance ; ils aimeraient bien la viande, mais étant de mauvais chasseurs, bien que leur pays abonde en gibier, ils n’en mangent que lorsqu’ils la volent aux habitants du Nouveau-Mexique ou aux chasseurs en marche. »

Le 9 janvier, on traversa la rivière de la Lave (Lava Creek), à 10 milles au nord des monts Bill Williams ; là, tout annonce les bouleversements et les convulsions de la nature. Le point qui mérite ensuite d’être mentionné est la rivière des Cèdres (Cedar Creek) qui n’a d’eau que pendant la saison pluvieuse ; son lit assez large est abondamment couvert de cèdres. À partir de cet endroit, le terrain commence subitement à baisser de 61 mètres par mille anglais. Toujours en descendant (13m,66 par mille), on atteint les bords d’une rivière qui après beaucoup de détours se dirige vers le sud-ouest.

« Nous la prîmes d’abord pour le Bill Williams qui, sorti des montagnes de ce nom, se rend au grand Colorado. Nous reconnûmes plus tard notre erreur, et ce cours d’eau fut baptisé par nous rivière des Perdrix (Partridge Creek), à cause du grand nombre de ces oiseaux qui animent les bords escarpés du ruisseau, et dont la tête est ornée d’un magnifique plumet. Au reste, il n’était pas facile de se convaincre de l’identité d’une rivière dont on ne connaît que l’embouchure, et dont la source est supposée située dans les monts Bill Williams ; tous les autres renseignements relatifs à ce cours d’eau se bornent aux récits et aux témoignages d’un trappeur nommée Bill Williams qui, descendant le grand Colorado, découvrit, près des villages Mohaves, l’embouchure d’une rivière qu’il remonta dans le but de prendre des castors. Il parvint ainsi dans le voisinage d’une chaîne à laquelle les chasseurs du Farwest ont donné son nom ainsi qu’à la rivière, nom qui depuis a été transporté sur les cartes modernes. Il sera provisoirement assez difficile de déterminer exactement la position géographique du Bill Williams. Les rives du Partridge Creek sont hautes et escarpées. »

La perdrix, qui vole par centaines dans cette solitude, a été nommée callipepla californica (gould), et callipepla squamata quand les plumes de la crête sont longues et pointues ; elle a la grosseur d’un pigeon domestique, ses plumes sont d’une belle teinte brune et grise ; ce qu’elle a de plus remarquable, c’est une aigrette de 0m,22 de long, large du haut, pointue en bas, bien fournie, que l’oiseau ramène en avant, penchée vers le bec, quand il fuit à tire-d’aile ou qu’il est effrayé, mais que le reste du temps il porte en arrière. Outre ces perdrix, d’un goût savoureux, on trouve aussi de grands loups gris (canis Lupus L., var. griseus Richardson).

Ici, les animaux et les végétaux sont bien supérieurs à l’homme, comme le lecteur en jugera par ce portrait des Tontos : « On ne peut concevoir des figures et des physionomies plus repoussantes ; nous avions sous les yeux un jeune homme et un vieillard, tous deux de taille moyenne, de forte structure ; grosse tête, front proéminent, pommettes saillantes, gros nez, bouche lippue et petits yeux à peine fendus qui jetaient des regards effarés, comme feraient des loups pris au piége. Leur teint était beaucoup plus foncé que je ne l’avais encore vu chez les Indiens ; leurs cheveux pendaient en désordre, ils portaient aussi la queue indienne, nouée avec des morceaux d’étoffe et de cuir. Le plus jeune avait des mocassins déchirés, des leggins et une espèce de jaquette en coton ; l’autre était vêtu d’une couverture navahoe en lambeaux, qu’il avait assujettie à l’aide d’épines ; rien pour protéger ses pieds contre les pierres et les ronces du cactus, rien que les callosités dont ses jambes étaient couvertes. Leurs armes consistaient en un arc de cinq pieds de long et des flèches de trois pieds, munies de pointes en pierre. Vainement on essaya de leur arracher quelques détails sur la nature de leur pays… »

On avait rencontré ces hideux sauvages près d’un défilé, auquel les voyageurs donnèrent le nom de Cactus Pass, à cause des plantes de ce genre qui s’y trouvent en foule. Parmi ces arbres se distingue surtout le cereus giganteus. Ce roi des cactus est connu en Californie et dans le Nouveau-Mexique sous le nom de pétahaya. Les missionnaires, qui visitèrent, il y a plus d’un siècle, le Colorado et le Gila, parlent des fruits du pétahaya, dont se nourrissent les indigènes, et s’extasient, comme l’ont fait plus tard les chasseurs de pelleteries, sur cette plante merveilleuse, qui a des branches et peu de feuilles, qui acquiert une grosseur considérable et une hauteur de 20 mètres quelquefois. Nous côtoyâmes, pendant notre voyage, la limite septentrionale de