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nement la cession de ces ruines, qui ont une grande importance, vu leur proximité du Saint-Sépulcre.

Je continue à descendre la pente du mont Acrâ, je traverse de longs bazars voûtés, où quelques chaudronniers et quelques tanneurs se livrent seuls à l’exercice de leurs professions. Une colonne en calcaire gris s’appuie à ma gauche sur le mur du consulat de France ; c’est le dernier débris de la porte judiciaire où fut affichée la condamnation à mort de Jésus de Nazareth ; un peu plus haut, une autre colonne marque l’endroit où se tenaient les femmes de Jérusalem lorsque le Christ leur dit : Filles de Sion, ne pleurez pas sur moi, mais sur vous-mêmes.

J’entre maintenant dans l’ancien tracé de la voie Douloureuse ; la configuration du terrain ne peut laisser aucun doute à cet égard. Quant à dire que l’on ne peut contester l’emplacement des stations, je n’oserais l’affirmer. Les évangélistes se sont abstenus de s’étendre en détail sur les dernières heures de la vie du Christ ; les documents authentiques manquent presque complétement ; ce que l’on peut en savoir, tout de tradition, a sans doute été recueilli par les premiers pèlerins ; mais, avec le temps, les agrandissements de la ville effacèrent ces traces du souvenir, et aujourd’hui l’on en est réduit aux suppositions.

Avant de donner le signal de la retraite, il me restait à voir les ruines appelées hôpital de Sainte-Hélène, par les chrétiens, Tekkié de Kasseki Sultane par les musulmans. Je me figurais un bâtiment de la belle époque byzantine ; quel fut mon étonnement lorsque je me trouvai devant une construction moresque. Je ne suis nullement systématique en fait d’architecture, aussi, le premier mouvement de surprise passé, je rendis justice à l’élégance de ces trois immenses portes, à l’heureux agencement de leurs cintres trifoliés, et à la richesse de leurs stalactites. Cet hôpital, actuellement en ruines, est l’œuvre de la sultane Roxelane, qui aura peut-être choisi avec intention, pour sa fondation pieuse, un endroit déjà consacré dans la mémoire du peuple par une antique reconnaissance.


V


« Jerusalem… leva in circuitu oculos tuos, et vide ; omnes isti congregati sunt, venerunt tibi : filii tui de longe venient… laudem Domino annuntiantes. »
Isaïe, LX, 4 et 6.


Mont Sion.

Le mont Sion fut le berceau de la nationalité juive, mais on n’y retrouve plus trace des constructions dravidiennes. Le château fort, situé près de la porte de Jaffa, est improprement appelé tour de David ; les gros blocs de maçonnerie qui lui servent de soubassement ont appartenu à la tour Mariame.

De l’autre cété de la place, une belle église d’un style simple et sévère attire mon attention ; elle est de date récente, et fut construite par les protestants qui travaillent, mais en vain, à convertir la nation juive ; non qu’ils n’obtiennent pas de temps en temps un résultat apparent ; beaucoup de juifs au contraire s’adressent à eux, écoutent patiemment leurs leçons, reçoivent le prix attaché à leur conversion ; mais une fois l’argent dépensé, ils retournent à la loi de Moïse, plus fervents que jamais, quittes a se convertir de nouveau a l’Évangile, et au même prix. J’ai connu à Jérusalem un juif qui avait changé sept fois de religion.

Dans une ruelle voisine, je remarque un reste de vieux mur ; il a dû appartenir à la prison où fut enfermé saint Pierre ; en effet, voilà bien la rue unique que suivit l’apôtre, guidé par l’ange, pour arriver chez Marie, mère de Jean, surnommé Marc. Ce petit couvent syrien à ma droite est bâti sur l’emplacement de la maison de la sainte femme.

Un des plus beaux établissements de Jérusalem est le patriarcat arménien ; les abords comme l’intérieur en sont d’une propreté, hélas ! trop rare. Le patriarche me reçut avec une aménité parfaite, me questionnant longuement sur les nouvelles européennes ; il affecta une grande sympathie pour la France, mais il me fut facile de comprendre que ses regards étaient tournés vers la Russie. Après les scherbets, le café et la pipe d’usage, il me donna un chammas pour me faire visiter le couvent et l’église de Saint-Jacques. C’est ici où, d’après la tradition, saint Jacques le Majeur eut la tête coupée. On a déployé à l’intérieur de cette église tout le luxe oriental ; les portes sont recouvertes de nacre et d’ivoire, et des ornements de cuivre ciselé leur donnent un éclat et un cachet particuliers. L’or et les pierres précieuses y sont prodigués ; une vierge entre autres porte sur sa tête une couronne de diamants et de saphirs énormes et de la plus belle eau. Je restai longtemps à examiner toutes ces merveilles ; j’en ressentais encore l’éblouissement lorsque je me trouvai devant les murailles de Jérusalem.

Sous les rois de Juda, le mont Sion tout entier était renfermé dans l’enceinte de la ville ; la partie sud de la montagne en a été exclue, par une erreur difficile à expliquer, seulement à l’époque du sultan Sélim, qui a fait reconstruire les murailles. Je franchis donc la porte de Sion (Nebi Daoud) ; le petit couvent à ma droite remplace le palais du grand prêtre Caïphe. Devant moi s’élève, au milieu des pierres tumulaires, un vaste bâtiment carré appartenant à des derviches depuis le seizième siècle ; il renferme, dit-on, le tombeau de David, mais, comme il n’est visible qu’aux yeux de la foi, j’ai dû m’en rapporter à ce qui me fut dit. La tradition y place également la sainte Cène, la descente du Saint-Esprit sur les apôtres et la réunion des disciples pour rédiger la profession de foi de la doctrine nouvelle.

En rentrant en ville, je traverse des monceaux de décombres s’élevant, en quelques endroits, plus haut que les remparts. Ce quartier est encore plus abandonné, si c’est possible, que les autres ; les cactus, les mauvaises herbes y ont élu domicile ; de misérables cabanes se dressent au milieu des immondices et servent de refuge à toute une colonie de lépreux. Le spectacle de cette misère humaine est navrant, aussi je hâte le pas en descendant le flanc rapide du mont Sion qui regarde l’orient.

Comme j’essaye d’entrer dans la grande synagogue, un