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vieillard que je crois reconnaître se présente à moi. Bien des fois j’ai vu son portrait dans les médaillons qui ornent les éditions stéréotypes : longue robe de chambre d’un noir assez douteux, barbe blanche qui descend jusqu’au milieu de la poitrine, bonnet noir entouré d’une auréole fauve. Est-ce Guttenberg, Faust ou Schœffer ? C’est simplement le second rabbin des siknadjes ou askenazim. Il s’excuse de son mieux de ne pouvoir me laisser visiter le temple, actuellement en réparation. Au moment où je me retire survient un jeune homme pâle, maigre, aux tempes garnies de longues mèches de cheveux d’étoupe, au bonnet fourré non moins gras mais infiniment plus pelé que celui du rabbin, c’est son fils. Celui-ci me propose de m’accompagner jusqu’à leur quartier. J’accepte l’offre, comptant mettre à profit sa société pour obtenir quelques renseignements sur la communauté israélite de Jérusalem.

Porte de Damas, à Jérusalem. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Les juifs qui habitent la ville sainte sont safardim ou askenazim ; les premiers suivent le rite méridional, les autres, originaires de la Russie, de la Pologne ou de la Gallicie, se subdivisent en haschidim (esséniens) et en pérouschim (pharisiens). Ils admettent tous le Talmud ; d’accord sur le dogme en général, ils ne se séparent guère que par le rituel. Leur administration temporelle est complètement distincte, et les nombreuses aumônes qui leur arrivent d’Europe sont versées dans des caisses spéciales. À ce propos, une remarque : Jérusalem ne vit que de charité ; de même que la Rome impériale se gorgeait des dépouilles du monde ancien, la ville sainte ne subsiste que des aumônes du monde religieux. Toutes les croyances y envoient leur offrande ; pour toutes, c’est un sanctuaire révéré. Déjà du reste, au temps de saint Paul, les revenus des saints de la ville sainte consistaient en collectes pieuses ramassées de toutes parts.

Je reviens à mon sujet. Dans toute opération de commerce, dans toutes les nécessités de la vie, on retrouve un juif, l’industrie juive, avec son activité, avec son patelinage, avec ses ruses. Le voyageur a-t-il besoin de renouveler sa chaussure, un juif se présente ; veut-il faire blanchir son linge, qu’il s’adresse à un juif ; a-t-il à tirer de l’argent d’Europe, les banquiers de Jérusalem sont des juifs. Malgré tout, ils sont l’objet de la haine et du mépris général, mais aux insultes, aux mauvais traitements, ils opposent une résignation inaltérable, puisant leur force dans leur admirable dévouement à la foi de leurs pères.

X.
(La suite à la prochaine livraison.)