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habitants. La solitude et le silence ont succédé à l’animation qui régnait sur les rives du lac ; elles ne sont plus animées que par le souvenir : mais c’est le souvenir des grandes scènes évangéliques qui préparèrent la régénération du monde. Nulle part ailleurs, en Terre-Sainte, la nature muette n’est plus éloquente, ni plus émouvante ; nul autre point n’est plus digne d’être visité par le pèlerin, sans excepter même Jérusalem.

Le Jourdain, sorti du lac de Tibériade, poursuit sa course dans le sud, entre les deux chaînes de montagnes qui longent sa vallée ; à droite et à gauche s’étend une plaine dont il occupe le milieu. C’est la plus grande plaine de la Palestine, les Arabes l’appellent El Ghor ; elle est d’un aspect triste et stérile : les tribus errantes qui la parcourent y trouvent avec peine quelques maigres pâturages pour leurs troupeaux. Dans cette plaine, à la hauteur de Galaad, Jephté extermina les Éphraïmites aux gués du Jourdain ; aux environs de Jéricho ou elle atteint une largeur de deux lieues, elle prend alors le nom de plaine de Jéricho. C’est par là que les Hébreux firent leur entrée dans la Terre promise. La tradition y montre le point où s’opéra le passage miraculeux du Jourdain, l’emplacement probable de Galgala où les Hébreux campèrent pour la dernière fois, après quarante ans de vie nomade ; enfin un double et grand souvenir fait de ce lieu un des plus mémorables de la Terre-Sainte, la prédication de saint Jean-Baptiste et le baptême de Jésus.

Les chrétiens orientaux, en général les schismatiques, ont pour la plaine de Jéricho une vénération toute particulière. Chaque année, aux fêtes de Pâques, plusieurs milliers de chrétiens grecs sortent en foule de Jérusalem et vont se baigner dans le Jourdain, au lieu même où le Christ reçut le baptême. On ne peut voir sans un vif sentiment de curiosité ces hordes confuses franchir les huit lieues qui séparent la ville sainte du Jourdain, se répandre sur ses rives et y faire leurs dévotions avec une ferveur que des siècles n’ont pu amortir. Ces chrétiens-là n’en sont pas encore à l’indifférence en fait de religion.

À une faible distance de ces lieux vénérés, le Jourdain va se perdre dans la mer Morte pour n’en plus sortir.

Les eaux du lac Mérom se trouvent à peu de chose près au niveau de la Méditerranée. De ce lac à la mer Morte, la distance est d’environ trente lieues. Le Jourdain parcourt cet espace en suivant des pentes sinueuses et rapides, surtout depuis le lac de Tibériade. La vallée s’abaisse donc au-dessous du niveau de la Méditerranée. On sait, en effet, que les eaux de la mer Morte sont de 400 mètres au moins plus basses que celles de la grande mer. Il y a là comme une cavité profonde dans laquelle le Jourdain se précipite, sans pouvoir la remplir, par suite des pertes occasionnées par l’évaporation. Cet état physique n’a rien en lui-même d’extraordinaire ; mais des études faites au delà de la mer Morte prouvent qu’à une époque reculée ses eaux devaient avoir un écoulement jusqu’à la mer Rouge.


XII


Aspexi, et ecce Carmelus desertus et omnes urbes ejus destructæ. »
Jérémie.


Naplouse. — Nazareth. — Séphoris. — Caïffa. — Le Carmel.

Le lendemain matin, à l’aube du jour, je songeai à regagner la route ordinaire de Jérusalem à Naplouse ; je la rejoignis à l’endroit où devait être Béthel. Il ne reste plus rien de cette ville appelée Luz du temps de Jacob. Je m’engageai alors dans une longue vallée formée par les montagnes de la Samarie ; aux alentours de la route se dressent quelques misérables villages arabes dont le nom ne rappelle aucun souvenir ; enfin j’aperçus la crête des monts Hébal et Garizim, j’approchais de Naplouse, l’ancienne Sichem, qui fait actuellement partie du pachalik de Beyrouth ; son éloignement y rend l’action du Muschir à peu près nulle, aussi l’hospitalité qu’on y reçoit n’est-elle pas toujours franche et cordiale. Le voyageur doit y séjourner le moins longtemps possible.

Deux heures me suffirent pour franchir la distance entre Naplouse et Sébaste, qui s’élève sur le plateau de Someroun. Dans la partie antérieure de la montagne, on voit des colonnes provenant des temples consacrés aux faux dieux ; plus loin, les derniers vestiges du palais d’Hérode. On distingue aussi parfaitement la belle église de Saint-Jean, dont on attribue la construction à sainte Hélène ; son vaisseau mesure 160 pas de long sur 80 de large ; le tombeau du Précurseur était dans un de ses caveaux.

En quittant Samarie, une montagne assez élevée me conduisit dans une belle plaine couverte d’une végétation vivace de toute beauté ; je foulais aux pieds un vrai tapis de tulipes, de jacinthes, de narcisses et d’anémones, et ainsi, au milieu des fleurs, j’atteignis la petite ville de Sanour, considérée généralement comme ayant succédé à Béthulie, patrie de Judith. La forteresse bâtie sur un monticule fut démantelée en 1831 par Abdallah-Pacha. Je passai à Djenin, et laissant à ma droite les monts Gelboé, le petit Hermon, les deux villages de Naïm et d’Endor, je traversai la riche plaine d’Esdrelon à l’extrémité de laquelle s’élève Nazareth.’

Bâtie en amphithéâtre à un millier de pieds au-dessus de la mer, Nazareth semble bien la reine de la contrée. L’église de l’Annonciation est actuellement enfermée dans le couvent latin des pères de Terre-Sainte. La maison de la vierge Marie, transportée si miraculeusement, d’après la tradition, d’abord en Syrie, puis en Macédoine, enfin à Lorette où on la voit encore, était construite dans le souterrain qui forme la crypte de l’église. Deux colonnes marquent l’endroit où se tenait l’archange lorsqu’il dit : « Je vous salue, Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. »

Je visitai également le couvent grec schismatique où l’on me montra la source à laquelle Marie venait puiser l’eau qui lui était nécessaire, et le couvent arménien qui a remplacé la synagogue juive où Jésus prononça ces