Page:Le Tour du monde - 01.djvu/96

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du produit de leur travail étaient en l’air, les uns à cheval, les autres en voiture, pour respirer la brise du matin. En dehors de la ville, même animation ; la route était encombrée d’allants et de venants, au milieu desquels on ne pouvait passer qu’avec peine.

« J’avais déjà parcouru un mille et demi en amont du fleuve, quand une odeur singulière vint m’affecter douloureusement l’odorat ; derrière un mur d’un aspect repoussant, s’élevait un nuage épais de fumée qui empestait l’air aux alentours ; mais ce qu’il y avait de plus singulier, c’est que, sur la crête de ce mur, étaient perchés quantité de ces oiseaux de proie qui se nourrissent d’ordures et de charogne ; des vautours au cou pelé, des aigles noirs, des faucons de couleur et de grosseur différences, jusqu’à de petits autours, tous gras et sales, comme ils sont d’ordinaire après s’être repus ; aussi j’en détournai les yeux avec dégoût. Quelques-uns avaient tant mangé, qu’ils ne pouvaient plus se tenir perchés sur le mur ; ils gisaient là couchés sans mouvement ; d’autres battaient des ailes, soufflaient de chaleur ; d’autres nettoyaient leur plumage terne et sale.

Un éléphant de labour à Ceylan. — D’après le comte Emmanuel Andrasy.

« Ces oiseaux ne s’inquiétaient guère des passants, et n’en continuaient pas moins à dormir et à se laver les plumes. Je fis arrêter ma voiture pour tâcher de deviner l’énigme de cette scène, et savoir quelle était cette fumée qui s’élevait derrière le mur. Il me fut répondu que c’était la qu’on brûlait les morts ; de la provenaient et la fumée et la présence des oiseaux de proie.

« En effet, c’est dans cet endroit que tous les cadavres du quartier occupé par les indigènes sont brûlés, ou plutôt roussis ; car, à peine le corps est-il légèrement noirci par la flamme, qu’il est retiré du feu et jeté dans les ondes sacrées de l’Ougli. Les oiseaux qui sont sur la rive n’attendent que ce moment, en sorte que les parents du défunt peuvent voir commodément de la rive par quel membre les rapaces volatiles commencent leur besogne et débarrassent le mort de son enveloppe charnelle. La lutte était justement engagée autour d’un cadavre exposé sur la rive ; je voulus m’approcher, afin de mieux considérer cet étrange spectacle, et, passant par-dessus des amas d’os humains éparpillés ça et là, je me trouvai à deux pas de l’endroit même où se faisait l’opération anatomique ; je voulais constater quelle espèce d’oiseaux était la plus habile à déchiqueter les cadavres ; je vis que c’était, sans contredit, une cigogne munie d’un long jabot. Cet excellent anatomiste est, sous beaucoup de rapports, semblable à la cigogne d’Europe, mais il est plus fort et plus grand (quatre pieds de hauteur). Son bec seul a un pied de long ; il est dur comme la pierre, et par conséquent très-propre à broyer son butin ; du reste l’animal ne fait pas grandes façons, et peut avaler un chat en une seule fois. La proie dévorée descend dans la poche pendue sous son cou, et ce n’est qu’après être restée là et s’y être amollie qu’elle est mâchée de nouveau et entraînée dans l’estomac.