moi ondule le plateau du Minnesota, dont le centre voit sourdre, à côté les unes des autres et comme d’un commun réservoir : 1o les sources du Mississipi, qui va chauffer ses ondes dans la mer brûlante du Mexique, 2o, de la rivière Rouge, qui va perdre les siennes dans les glaces de la baie d’Hudson, 3o et enfin de la rivière Saint-Louis, qui, se jetant dans l’angle occidental du lac Supérieur, peut être considérée comme la source la plus reculée du Saint-Laurent.
L’élévation du sol plus encore que celle de la latitude (de 42 à 49°) rend, dans le Minnesota, les saisons constantes, les étés agréables, l’hiver long et rigoureux ; toutefois on s’habitue facilement à le supporter. Il n’est pas d’ailleurs également rude dans toutes les parties du pays : vers le sud et au centre la température reste constamment très-supportable, tandis que vers l’extrême frontière nord le mercure gèle quelquefois.
Ces conditions climatologiques assurent la salubrité du pays. Sa réputation à cet égard est bien établie ; beaucoup d’habitants du Sud, énervés ou épuisés sous l’influence d’un climat trop chaud, vont s’y fixer pour rétablir leur santé. Ils y ont formé le noyau de la population, forte déjà de cent soixante-quinze mille âmes, et que renforce chaque jour l’émigration européenne. Les Français, les Suisses, les Allemands, les Suédois et les Norvégiens y affluent. Les derniers s’enfoncent dans les sapinières de la partie nord ; les premiers se fixent de préférence dans les districts du sud, où le chêne, le frêne, le platane leur rappellent la végétation forestière de leur patrie.
Le Mississipi, qui traverse le centre de l’État, est navigable jusqu’à trois cents milles au-dessus des chutes Saint-Antoine, où se trouvent les stations de bateaux à vapeur qui font le service du fleuve en amont et en aval des chutes. Ses principaux affluents sont la rivière du Rum et la rivière Sainte-Croix (qui charrient les bois coupés dans les sapinières du nord) et la rivière Saint-Pierre ou Minnesota, qui parcourt toute la partie sud-ouest de l’État, et offre à la navigation un canal de près de cinq cents milles pendant les hautes eaux.
Lorsque les voies d’eau sont fermées par la glace, c’est-à-dire du 20 novembre au 20 avril, le Minnesota n’ayant pas encore de chemin de fer, la circulation, les voyages, les transports des dépêches et des marchandises s’y font au moyen de traîneaux de différentes forme et grandeur, attelés de chevaux vigoureux. Quelquefois on préfère à ceux-ci un attelage de chiens, surtout quand il s’agit d’expéditions lointaines vers le nord. Ces animaux, qui supportent très-bien la fatigue et le froid, exigent peu de nourriture et font souvent un trajet de cent milles dans une journée.
Mais à l’époque de mon passage, bien que l’automne commençât à nuancer les feuilles des forêts, que la rosée du matin fût froide, les journées étaient chaudes et les eaux des rivières, des ruisseaux et des centaines de lacs, qui donnent au paysage de cette contrée un caractère tout particulier, scintillaient bleues et brillantes au soleil. Les convois d’émigrants venant des États de l’est et qui m’apparaissent de loin en loin sur les rives du fleuve, me rappelaient tantôt la caravane du Squatter de la prairie, telle que Cooper l’a gravée dans toutes les mémoires, tantôt cette page non moins belle où Audubon a peint les pionniers du Mississipi :
« Les voilà qui s’avancent dans leurs longs chariots à quatre roues, où sont entassés femmes, enfants et bagages. Une toile blanche, tendue sur des cerceaux, abrite la famille contre le soleil et l’orage. Le digne mari, le rifle sur l’épaule, et ses garçons, revêtus de bonne grosse étoffe, touchent les bœufs et conduisent la procession, suivis de leurs chiens de chasse ou de garde. Ils voyagent lentement, à petites journées, et tout n’est pas plaisir sur le chemin. D’un côté, c’est le bétail qui, sauvage et entêté, s’écarte à chaque instant de la ligne droite pour courir à une source ou à un bouquet de bois et ne peut être ramené qu’au prix de beaucoup de temps et de peines ; d’un autre, c’est un harnais qui se rompt et qu’il est indispensable de raccommoder sur-le-champ. Plus loin il faut courir à la recherche d’un baril tombé inaperçu, les pauvres gens ont grand besoin de ne rien perdre de leur chétif avoir. Et puis les routes sont affreuses ; plus d’une fois toutes les mains sont appelées à pousser à la roue ou à soutenir la charrette qui penche et va verser. Enfin, au coucher du soleil, ils ont fait cinq ou six lieues. Fatigués, ils se groupent autour d’un feu qu’il n’est pas toujours facile d’allumer ; le souper est préparé ; on simule au moyen des chariots et de quelques arbres abattus une sorte de camp, et c’est là qu’ils passent la nuit.
« Des jours succèdent aux jours et des semaines aux semaines avant qu’ils atteignent le but de leur pèlerinage, quelque vallon écarté du far-west, où ne retentissent pas trop et le bruit de la hache des voisins, et, faut-il l’avouer, le mot sacramentel et gênant de la loi. »
Mais au milieu des invasions de la race blanche que deviennent ceux que la chancellerie de Washington appelait encore, il y a un demi-siècle, les propriétaires du sol ? Hélas ! ce que deviennent les neiges d’antan. Ils fondent, pour ainsi dire, devant les défrichements. Chasseurs jetés au milieu de la vie de cité, sans transitions, sans préparations aucunes, ils s’éteignent sous les émanations des fermes et des usines, des guérets mis en cultures. Ils disparaissent avec les grands troupeaux de bisons et de daims qui servaient à leur nourriture. Durant toutes mes pérégrinations sur le haut Mississipi, je n’en ai aperçu qu’une fois ou deux.
À la hauteur du lac Pépin, trois Indiens Chippeways montèrent abord, tandis que le reste de la tribu leur faisait des signes d’adieu du haut de la berge du Mississipi. Ces Indiens étaient de grande taille, mais avaient des traits grossiers et la peau d’une couleur rougeâtre très-foncée. La moitié de leur figure était couverte d’une épaisse couche de vermillon qui s’étendait jusqu’à leurs cheveux natés au sommet du crâne. Ils portaient de longues guêtres de cuir attachées sur le côté par mille lanières effilées. Par-dessus une espèce de blouse déguenillée, ils avaient