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Jalapa ; là, je monterai, s’il le faut, dans la diligence. » Je me couchai après avoir déjeuné et dormi d’une traite jusqu’au dîner. Ayotla est un joli petit village assis sur les bords du lac de Chalco et encadré d’une riche verdure, mais il ne présente, au demeurant rien de curieux et je m’y ennuyai assez le reste de la soirée pour reprendre au plus tôt mon sommeil.

Picador mexicain. — Dessin de Riou d’après une photographie.

Le coche arriva le lendemain vers neuf heures. C’était une de ces vieilles calèches dont on ne retrouve l’échantillon en France qu’au fond de nos provinces méridionales, là où l’attrait du progrès n’a pas encore vaincu l’amour du gros sou ; elle était doublée d’une perse en lambeaux, dont les ramages s’étaient depuis longtemps fondus dans la crasse ; des vitres trapézoïdales, indépendantes des portières, s’ouvraient au dehors en tournant sur des gonds. En un mot, c’était le classique coche espagnol, moins l’élégance du mayoral et la fougue de ces mules que M. Théophile Gautier peint sortant de l’écurie, debout sur leurs pieds de derrière, avec une grappe de postillons pendus à leur licol. Les nôtres me parurent moins bouillantes quoique aussi maigres, différence qui s’explique par ce fait que les pauvres bêtes n’étant jamais relayées font un service très-pénible. Elles étaient au nombre de six en trois volées ; leur harnachement répondait dignement aux splendeurs de la voiture : on y voyait plus de cordes que de cuir, plus de nœuds que de boucles. Le mayoral monte une des timonières, un jeune homme, le sota, une des mules de tête ; tous deux sont vêtus de calzoneras et de vestes de cuir sans autres ornements que des taches et des trous, aussi vieilles, en un mot, que le coche, les harnais et les mules.

Il n’y a qu’un voyageur dans la voiture ; je prends place à ses côtés moyennant la faible somme de quatre piastres, une fois payées et nous partons au trot.

Marchand de paniers. — Dessin de Riou.

À quelques kilomètres d’Ayotla, la route gravit les revers de la montagne et s’engage dans des gorges boisées ; c’est la forêt de Rio-Frio. De temps en temps, on gravit une croupe du haut de laquelle on domine le pays environnant, dont la physionomie générale rappelle beaucoup celle de la forêt de Fontainebleau ; les accidents du sol et la végétation sont les mêmes. Ce lieu jouit de la réputation traditionnelle, aujourd’hui perdue, de la forêt de Bondy. Mon compagnon me paraît préoccupé et mal à son aise, il me lance à la dérobée des coups d’œil obliques et soupçonneux, se tient sur une grande réserve, et quand il ouvre la bouche après avoir promené un regard inquiet sur le paysage, ce n’est point pour en vanter les beautés, mais bien pour parler de voleurs. Sa méfiance me gagne peu à peu et, en prévision d’événements fâcheux, je juge à propos de cacher ma bourse, sans qu’il s’en aperçoive, dans une des nombreuses solutions de continuité que présente la doublure du coche, ne gardant sur moi qu’une somme suffisante pour détourner de ma tête la fureur des bandits désappointés.

La rencontre d’un piquet de milice à cheval qui revenait d’escorter les diligences du sud rendit un peu de sérénité à mon voisin, mais ce ne fut qu’un feu de paille, et son trouble alla toujours croissant jusqu’au pueblo de Rio-Frio où nous arrivâmes vers trois heures après midi. Ce village, situé à peu près au sommet de la montagne, est pittoresque ; un petit ruisseau limpide, bordé de gazon, traverse la grande place ou plutôt le vide autour duquel sont disséminées sans ordre quelques maisons de bois à soubassements de pierres sèches, et une vieille église d’un bon effet malgré sa simplicité ; quelques hauteurs boisées, abruptes et sauvages, font cadre au tableau.

À partir de Rio-Frio, on redescend vers les plaines et