Les blanches murailles, les dômes et les clochers de Vera-Cruz se dessinaient déjà au-dessus d’une ligne de collines sablonneuses connues sous le nom de Medanos. Çà et là quelques maisons blanches à toitures plates, ombragées de bananiers et de palmiers, marquaient une oasis au milieu de ce désert aride ou marécageux qui s’étend autour de la Vera-Gruz nueva. À l’horizon miroite la mer. Bientôt se développe devant nous la ligne des remparts avec leurs bastions et leurs redans ; nous franchissons vers sept heures cette enceinte peu formidable en réalité malgré ses grands canons, et mettons pied à terre enfin devant la casa de Diligencias.
Cet hôtel est un véritable palais ; une double rangée de cloîtres superposés, à colonnes de marbre, environnent la cour. Les appartements sont dallés, vastes et très-élevés ; tout est d’une propreté exemplaire.
La ville est sous l’influence d’un norte, c’est-à-dire d’une bourrasque de vent du nord. Quand Borée se déchaîne, Vera-Cruz est en émoi ; son souffle est un simoun humide et froid qui paralyse tout dans la place et rend le port dangereux. La mer frémit et moutonne sous le poids de la tempête. Cette crise retarde le départ du steamer ; l’hôtel est encombré de voyageurs qui l’attendent comme moi, et l’on nous installe sans façon plusieurs dans la même chambre.
Je passai là trois jours, les plus tristes certainement de mon séjour au Mexique, en exceptant toutefois ceux de Guaymas. On déjeune entre neuf et dix heures à l’hôtel, on dîne entre quatre et cinq. Les us et coutumes du pays veulent qu’on fasse la sieste au milieu du jour, pendant la forte chaleur, et l’on ne rencontre guère à ce moment-là dans la rue que quelques portefaix nègres en chemise de batiste, pantalon blanc, chapeau de Panama, le tout d’une propreté éblouissante.
Heureusement pour moi j’étais recommandé à un de mes compatriotes, le docteur Castagné, dans la conversation duquel je trouvai les seules distractions que Vera-Cruz m’ait offertes. J’eus l’avantage de rencontrer chez lui une incarnation vivante, authentique, sérieuse d’Adrienne de Cardoville ; le sexe seul était différent, il s’agissait d’un Adrien. C’était un homme de quarante-cinq ans environ, Mexicain, de bonne éducation, qui me parut jouir de la plénitude de ses facultés intellectuelles, et qui n’en avait pas moins été conduit violemment de Guanajuato à la Vera-Cruz, par quelques Espagnols, en qualité de fou. Sa bonne étoile voulut qu’à son arrivée en cette ville, il fut rencontré par le docteur dont il était connu. Celui-ci, qui est un homme de cœur, avait été au fond de l’affaire et y trouvant les traces d’un guet-apens, s’était adressé aux autorités. En dépit d’influences secrètes, puissantes, il avait obtenu une enquête médicale à suite de laquelle la victime venait de recouvrer sa liberté.
Or, voici quel était le dessous des cartes. Cet homme était le tuteur d’un neveu mineur, garçon fort riche déjà du chef de son père mort et qui attendait encore de sa mère et de son oncle, dont il était l’unique héritier, des appoints qui devaient faire monter un jour sa fortune à plusieurs millions de piastres. Un jeune homme donnant de si belles espérances ne pouvait manquer d’être recherché, et il le fut par des gens qui prétendaient faire naître en lui une vocation irrésistible pour la vie claustrale. La mère était déjà persuadée, l’oncle seul s’opposait au développement de cette vocation. Il gênait, on l’enleva, un beau jour, on le fit passer pour fou, et, sans le bienheureux hasard qui conduisit le docteur sur sa route, il partait pour l’Espagne, d’où il serait revenu Dieu sait quand.
Emprisonnée dans son corsage bastionné et entourée d’un désert malsain, Vera-Cruz n’a pris que peu de développement, mais il y règne un certain air d’opulence qui contraste singulièrement, par parenthèse, avec le peu d’animation qu’on y remarque. Les maisons sont vastes, élégantes, bien alignées ; j’en ai vu quelques-unes fort richement ornementées, balcons couverts de légères galeries cintrées, soutenues par de gracieuses colonnettes, gargouilles gigantesques, curieusement travaillées ainsi que les consoles, pendentifs et reliefs de toute espèce. Les rues sont larges et bien pavées, souvent bordées de portales. Le soin de leur propreté, qui ne laisse rien à désirer, est commis à ces petits vautours noirs et pattus nommés zopilotes. L’inviolabilité la plus complète et la tolérance la plus grande récompensent leur zèle. La nuit ils perchent le plus singulièrement du monde sur les corniches des maisons et des monuments publics. Des fenêtres de l’hôtel nous prenions plaisir chaque soir à les voir s’installer en foule, avec une gravité bouffonne, sur la coupole de la cathédrale et la tour du palais du gouvernement, deux vieux bâtiments à physionomie mauresque qui se trouvent sur la plaza Mayor.
La place du Môle n’est pas laide ; elle est surtout assez animée, la porte qui ouvre sur la jetée étant le seul défilé par lequel la ville communique avec la rade. Ce monument qui, vu de la mer, fait un certain effet au milieu de la ligne des fortifications, relie les bâtiments de la douane à ceux de la trésorerie. C’est une sorte d’arc de triomphe dont le portique principal est flanqué de quatre portes basses, rectangulaires, surmontées d’écussons ou bas-reliefs et séparées par des pilastres qui supportent l’entablement.
Vis-à-vis se trouvent l’hôtel San Carlos ou gran sociedad, le principal après celui des Diligences, la fonda del Commercio et quelques habitations particulières. La douane, la trésorerie et un entrepôt, constructions basses et uniformes, ornées de portales et exhibant quelques prétentions architecturales, forment les autres côtés de la place. À l’angle occidental s’élève le clocher du couvent des franciscains, le plus beau et le plus riche de la ville, ici comme partout ailleurs.
En face du môle, à huit cents mètres au large environ, s’élève le château de San Juan de Ulloa, sur un îlot à base de madrépores. C’est un parallélogramme irrégulier à quatre bastions, dont l’un supporte un phare, un autre les ruines d’une tour ou cavalier, que détruisit en partie l’explosion d’un magasin à poudre lors du bombardement du fort par les Français, en 1838. La porte regarde la mer ; elle est défendue par une demi-lune au delà de la-