Page:Le Tour du monde - 05.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La quantité d’hippopotames rencontrés ce jour-là est incroyable pour qui ne l’a pas vu par soi-même. Il suffit de dire qu’en certains endroits ils sortaient par centaines au point de nous faire craindre une attaque. Quelques-uns s’approchant par derrière donnaient de temps en temps contre la barque des coups de tête si violents que je me crus un moment perdu. Heureusement la barque était solide et le vent était assez fort : nous pûmes nous éloigner de ces monstres, avec une rame seulement rompue. — À la nuit, je jetai l’ancre, toujours dans le grand lac, mais à un endroit peu profond, où je pus m’arrêter. Le lendemain, 24, avant le lever du soleil, je partis et continuai il explorer le lac jusqu’à une heure de l’après-midi. J’entrai alors dans un canal tracé à travers le marais qui me conduisit, vers les cinq heures dans un nouveau lac, au milieu duquel se trouve une belle et grande île, abandonnée pour le moment par ses habitants ; mais où se montraient à l’ancre trois barques de négociants de Khartoum. — Ayant amarré la mienne, je pris une petite felouque et me mis à la recherche d’un bon lieu de débarquement, et l’ayant trouvé dans un canal étroit que je jugeai devoir être d’un ancrage commode, je m’en retournai à la nuit déjà obscure. — Le 25, de bonne heure, je retournai examiner le passage découvert par moi la veille ; mais je dus me convaincre de l’impossibilité de sortir par là, à cause des marais qui s’y trouvent et où l’on ne peut pénétrer à pied. En conséquence, je repartis de nouveau et j’entrai dans un canal étroit qui aboutit au bout de peu de temps dans un autre et dernier lac où j’aperçus à une grande distance les mâtures d’une vingtaine de barques échouées et ancrées dans une anse qui se creusait vers le nord-nord-ouest. — Le vent étant tombé vers le soir, je dus jeter l’ancre au milieu du lac, à deux lieues environ des autres barques. — Le 26, deux heures avant le lever du soleil, je pars par un faible vent de nord-est qui pourtant nous pousse en avant, et, vers les huit heures du matin, j’atteins les autres barques, salué par de nombreux coups de fusil auxquels je réponds, en hissant aussi mon pavillon, selon l’usage de ces pays. — Après m’être informé près des hommes des équipages, des routes de l’intérieur, je passai le reste de la journée à faire les préparatifs que nécessite un long voyage en terre ferme.


Excursion dans l’intérieur. — Les Dinkas ; leur vrai nom ; détails sur cette tribu. — Physionomie de la contrée. — Moyens de transport. — Un phénomène végétal. — Négociation orageuse. — Sociabilité des noirs.

Dès le matin du 27, j’envoyai donc à la recherche de moyens de transport pour des marchandises et les provisions nécessaires à un voyage qui pouvait être de longue durée, et je réussis non sans peine à me procurer une quarantaine de noirs, les bêtes de somme n’étant pas connues dans ces pays. Ayant donc mis ordre à toute chose, bien approvisionné de munitions, accompagné des soldats et de sept mariniers armés, ainsi que de deux drogmans, après avoir fait mes adieux dans toutes les barques, je partis à cinq heures de l’après-midi, me dirigeant à l’ouest. Mais je fus bientôt forcé de traverser à gué avec toute ma caravane un petit lac dont l’eau, à certains endroits, m’arrivait jusqu’au cou. Poursuivant notre marche, nous arrivâmes vers les neuf heures à un village appartenant aux Reeks, tribu dinka où nous passâmes la nuit. — Je dois faire observer ici que la grande famille des Dinkas n’habite pas seulement la rive droite du fleuve Blanc et l’intérieur de l’île de Khartoum en s’étendant à plusieurs journées de marche dans l’intérieur du Saubat, mais encore l’intérieur du Bahr-el-Gazal où règnent les mêmes usages et de plus la même langue, à quelques exceptions dues peut-être à la transmigration. Une preuve en est le nom de Mondjan qu’on s’y donne. Leur langue est en effet équivalent à celui des Dinkas de l’intérieur de l’île ; mais quelques questions que nous leur ayons faites pour savoir s’ils se connaissaient réciproquement, ils affectaient la plus grande ignorance à cet égard, quoique je sois très-persuadé du contraire, malgré la grande différence physique qui existe entre eux, et quoique ceux du fleuve Blanc soient très-subtils et très-voleurs, tandis que ceux du Bahr-el-Gazal sont d’une complexion meilleure et, si l’on peut dire ainsi, plus appropriée, moins les nomades que l’on appelle Baggaras (nom donné aussi aux Arabes nomades, voy. p. 188) parce qu’ils sont constamment au milieu de la cendre des feux que l’on allume dans les parcs des bœufs pour les préserver des importunités des insectes.

Nous partîmes le 28, de bonne heure, traversant sans cesse des bois dont le plus petit n’exigeait pas moins d’une heure de marche, et nous entrâmes dans le pays des Adjak, le peuple le plus sauvage de tous les Dinkas. Ils nous en donnèrent une preuve en voulant m’empêcher de m’arrêter près de quelques arbres egligh (arbre de l’éléphant), sous prétexte qu’à l’ombre de l’un d’eux était enterré un de leurs saints. Mais voyant que nous nous disposions à prendre les armes pour leur donner une leçon, ils jugèrent prudent de se retirer, et ils nous laissèrent nous reposer en toute paix, pendant les heures accablantes de chaleur du milieu de la journée. — À trois heures, nous nous remîmes en route, sous les egligh, les tamarins, les kakamout, les gimesch, les djorran et toutes sortes d’autres arbres énormes, et à la nuit nous arrivâmes en vue d’un village, d’Adjak probablement, où nous campâmes.

29. Je repartis de bonne heure et continuai mon voyage, à travers des champs de roseaux secs et de paille de la hauteur d’un homme et plus, et ce fut à peine si nous rencontrâmes vers les neuf heures un puits où nous arrêter quelques minutes, pour faire reposer nos gens et étancher la soif qui commençait vraiment à m’inquiéter. Après quoi nous nous remîmes en marche, pour atteindre à onze heures un grand village des Reeks épuisés de fatigue par une course de plus de six heures sur une route exécrable. Nous repartons à deux heures de l’après-midi, et, par de petits bois si voisins l’un de l’autre qu’ils n’en formaient en réalité qu’un seul, nous arrivâmes à la chute du jour au premier village des Awan (Dinkas) où nous fîmes halte pour la nuit. — J’ai oublié de noter que /