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Sur un plateau élevé, au bord de la mer, est posé un autel antique qui forme le centre de la composition. Dans la niche de l’autel, les trois Grâces accroupies, et la tête sur leurs genoux, attendent l’issue du combat. Leur pose tourmentée et sans noblesse a grand besoin du livret pour révéler leur qualité. Une lampe antique brûle près d’elles d’une lumière douteuse, comme leur beauté. Au-dessus de la niche, et pour en interdire l’approche, un monstre vert, à corps de chien, décoré de colliers, de médailles, et dont les têtes coiffées de perruques poudrées sont cravatées de blanc. Avec ses griffes et sa queue, le monstre se défend contre les attaques des régénérateurs de l’art, divisés en deux groupes : celui des peintres et celui des sculpteurs.

À droite, Cornélius, dont le vêtement a cette couleur verte que l’oie compose et que nous n’osons plus nommer ; monté sur Pégase, il brandit de toute sa force une épée à deux mains. Après le vaillant et fougueux champion de l’art nouveau, le doux et extatique Overbeck qui prie au lieu de combattre, en robe de chambre, pour annoncer ses habitudes solitaires ; la raie au milieu du front, comme il convient au peintre des chérubins. Sur son cœur, il presse le bâton d’une bannière lambrequinée où est peinte la Vierge immaculée. Derrière le mystique, un autre batailleur, le troisième régénérateur de l’art allemand, l’auteur même des fresques, Kaulbach. Il empoigne de la main gauche une espèce de bandit, mal habillé d’une redingote verte, dont on ne voit que la barbe, et qui veut, lui aussi, se hisser à la gloire en se faisant un marchepied d’une tortue. De sa poche, qui rappelle celle de notre trop illustre Bertrand, sort un pistolet, dont je n’ai pas compris le rôle artistique.

Sous les pieds du cheval de Cornélius, on voit un carton auquel il ne manque pas un cordon. Un vieux en perruque de travers, à jabot, à culotte courte et en souliers à boucles, s’y appuie en pressant amoureusement contre sa poitrine un mannequin nu. Ce pauvre vieux signifie sans doute la chute de cette vieillerie, les études d’atelier.

Fresque de Kaulbach, à l’extérieur de la nouvelle Pinacothèque, à Munich.

Passons à l’autre groupe. Voici encore un vaillant. De la main gauche il tient un bouclier et de la droite un glaive. Une grande draperie rouge ne laisse voir qu’un peu de son pantalon vert olive et ses souliers lacés ; sur sa tête, un casque ou une casquette, je ne sais lequel.

Le second personnage frappe d’un maillet de sculpteur. Le troisième n’a pas d’arme : il repousse le monstre de sa main nue. Une plume dressée en aigrette derrière ses oreilles indique un écrivain en esthétique allemande.

En arrière et au-dessus d’eux, sur un petit nuage qui fait office de banc, Minerve menace de sa lance le pauvre monstre. Enfin un monsieur gras, en beau linge, à chevelure abondante et favoris bien peignés, en robe de chambre encore, verte toujours, un portefeuille sous un bras, une équerre en fer sous l’autre, un pied dans la mer, le second posé sur le tertre, arrive je ne sais trop d’où, guidé par une chouette qui vole au-dessus de sa tête, tandis que par en bas trois grenouilles lui coassent la bienvenue.

Voilà pour l’idée. Le dessin et la couleur ne valent pas mieux. Tous les vêtements ont des plis qui leur feraient une dimension impossible ; les chairs sont couleur de brique, et chaque figure est sèchement placardée près de l’autre, à ce point qu’à distance on ne voit que des taches qui ne se fondent pas dans une forme.

Ce n’est pas assez d’appeler cette fresque, comme l’a fait M. Th. Gautier, une charge d’atelier. Elle mérite un blâme plus sévère, venant d’hommes qui critiquent de si haut et souvent nient les talents acceptés des au-