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Arrivée à Barcelone. — Les églises. Les mendiants. — Une nécropole aérienne. — Une exécution capitale ; le garrote. — Une complainte catalane. — Un bal champêtre. — Les prisons de l’inquisition. — Montserrat. — Tarragone.

Barcelone nous apparut éclairée par un soleil éblouissant. « Barcelone, dit Cervantes, séjour de la courtoisie, asile des étrangers, hôpital des pauvres, patrie des hommes vaillants, refuge des offensés, centre commun de toutes les amitiés sincères, ville unique par son site et par sa beauté. » Elle est assise au pied du Mont-Juich, la montagne des Juifs, immense rocher dont le sommet, hérissé de fortifications s’élève au-dessus de nombreux clochers gothiques ; Cervantes disait vrai : Barcelone était au moyen âge et encore de son temps une des villes les plus florissantes, un des ports les plus fréquentés de la Méditerranée, à l’égal de Venise, de Gênes et de Pise, avec lesquelles elle avait des rapports fréquents. Au quinzième siècle, elle avait une école de sculpteurs, dont on admire encore les chefs-d’œuvre ; dans aucune ville d’Espagne on n’a mieux travaillé, au moyen âge, la pierre, le bronze et le fer, le fer surtout, car Barcelone possédait une nombreuse corporation de rejeros : c’étaient des artistes qui forgeaient et ciselaient ces merveilleuses grilles de fer qui ornent les églises et les cloîtres, et dont le travail est si fin, que quelqu’un les comparait à des pièces d’orfèvrerie grossies au microscope.

Les douanes de la Junquera. — Dessin de G. Doré.

Sous le rapport de l’activité commerciale, Barcelone n’a rien perdu. C’est la seconde ville et le premier port du royaume, et on l’a surnommée à juste titre le Manchester de la Péninsule. Son port est encombré de navires de toutes les nations, comme il était lors du séjour du vaillant don Quichotte en compagnie de son fidèle écuyer ; seulement les steamers ont remplacé les galères ; le brave Sancho qui les prenait pour des monstres, et leurs rames rouges pour des pieds, aurait poussé d’autres cris en voyant un vapeur faire écumer l’eau, et aurait certainement cru à un nouvel enchantement du sage Merlin.

Aujourd’hui, Barcelone ressemble beaucoup à. Marseille : c’est la même activité, le même mélange de nations diverses, la même absence d’un type tranché. Les mantilles ne se montrent que très-rarement, et c’est en vain que nous avons cherché, sur la foi d’Alfred de Musset, à découvrir la moindre Andalouse au teint bruni ; elles deviennent, du reste, plus rares de jour en jour en Andalousie même, et Doré ne manquera pas de constater celles que nous apercevrons ; car un jour viendra où les chemins de fer, sillonnant l’Espagne, les feront entièrement disparaître.

Passage d’un torrent. — Dessin de G. Doré.

En revanche, quelques vieux quartiers de la ville ont conservé une physionomie originale : telle est la calle de la Plateria, la rue de l’orfèvrerie. Il n’y a pas, en Espagne, de ville un peu considérable qui n’ait sa calle de la Plateria ; et c’est là qu’on peut étudier l’orfèvrerie populaire, qui a bien son importance dans le costume : les boutiques sont garnies de bijoux d’or et d’argent assez lourds et grossiers de travail, mais dont les formes singulières et à demi barbares ont je ne sais quoi d’original qui séduit ; ce sont d’énormes boucles d’oreilles, quelquefois tellement pesantes, qu’il faut les soutenir au moyen d’un fil ; des bagues ornées de pierres rouges et vertes, des ex-voto de toutes sortes, et des figures de la Madone de Monserrat, en très-grande vénération chez les Catalans ; toute cette bijouterie est principalement destinée aux pagesas, ou paysannes riches. À côté de cela il y a les bijoux al estilo de Paris, pour les gens qui se piquent de suivre les modes françaises.

La cathédrale et la plupart des églises de Barcelone sont fort anciennes, et leur architecture, souvent d’une grande élégance, est d’un style différent, sous beaucoup de rapports, de celui de nos églises du Nord ; un des caractères les plus saillants de cette architecture, c’est l’emploi simultané de la pierre et du bronze qui produit quelquefois l’effet le plus heureux : je me rappelle surtout un grand ange de pierre, aux longues ailes de bronze, vrai chef-d’œuvre du quinzième siècle, que nous ne pouvions nous lasser d’admirer. Cette cathédrale, que les Catalans appellent la Seu (prononcez Séou), manque de façade, mais l’intérieur est un des plus beaux qu’on puisse voir : la voûte, d’une grande élévation, est supportée par des piliers élancés, entre lesquels les vitraux du chœur tamisent une lumière mystérieuse. Sous le chœur est creusée une crypte où de nombreux cierges