détails les plus intimes sur ce qui s’y pasait sous le règne d’Amurat IV. Se trouvant à Calcutta, il rencontra un vieil esclave noir qui avait passé trente ans dans le sérail et joui de la plus haute faveur. Disgracié et dépouillé de toutes ses richesses à la suite d’une de ces révolutions de palais, si fréquentes autour des souverains absolus, il avait échappé par miracle à la mort, et s’était enfui jusqu’à Calcutta, où il subsistait à grand’peine d’un petit commerce de parfums et de cosmétiques.
Jusque vers le milieu du seizième siècle, les empereurs ottomans habitèrent le vieux sérail de Mahomet II, espèce de forteresse située presque au centre Constantinople où le gouvernement actuel a établi le seraskierat (ministère de la guerre).
Soliman II, arrière-petit-fils du conquérant, abandonna ce séjour, qu’il ne pouvait embellir, et transféra ses femmes et ses trésors à l’extrémité de sa capitale, dans les lieux charmants abandonnés par les moines grecs qui desservaient Sainte-Sophie. Cette enceinte était déjà couverte de beaux arbres, et des aqueducs byzantins y amenaient l’eau en abondance. — Il fit construire sur les hauteurs sa demeure impériale et planter ces jardins fameux où mille bastandgis (jardiniers) cultivaient les plus beaux légumes et les fleurs les plus rares de l’univers. La mer battait le pied du mur d’enceinte, et la flottille qui servait aux promenades du sultan était amarrée au bas de ce petit cap, qu’on appela dès lors la Pointe du sérail (voy. p. 17).
Soliman transporta dans le nouveau sérail le luxe barbare de ses prédécesseurs et quelques-uns des raffinements de la civilisation plus avancée des pays occidentaux. La chambre où il dormait était éclairée par un procédé des plus primitifs ; il y avait de grandes lampes d’or massif qu’on remplissait de suif et qui brûlaient comme nos lampions. Son lit n’était qu’une planche sous une couverture de drap d’or lourdement brodée ; mais il y avait aussi des porcelaines de Chine, des miroirs de Venise, et il buvait dans des gobelets de verre de Bohème. Comme le roi François Ier, son contemporain, il aimait le faste et les belles choses ; s’il y avait eu des artistes dans son empire il les aurait protégés ; mais il régnait sur un pays ennemi des arts plastiques et il n’eut à récompenser que des poëtes.
L’étiquette de la cour ottomane date de son règne ; il régla les attributions des hauts fonctionnaires, c’est-à-dire des esclaves qu’il élevait aux positions les plus éminentes, en les attachant à sa personne pour lui rendre tous les services de la domesticité. Il augmenta considérablement le nombre des femmes enfermées dans le harem, et rendit leur existence plus splendide et plus austère. En même temps, il doubla la cohorte des eunuques noirs qui gardaient les sultanes.
Le sérail renfermait environ cinq mille âmes, en comptant la soldatesque casernée dans la première cour. Les eunuques noirs et blancs, les nains, les muets, les femmes et les jeunes serviteurs du sultan vivaient dans les appartements intérieurs ; ils étaient environ trois mille. Ce peuple d’esclaves n’appartenait pas à la race turque. La plupart, nés chrétiens et sujets du Sublime Empereur, étaient des enfants de tribut.
On appelait enfants de tribut les jeunes gens et les jeunes filles qui formaient l’espèce de dîme humaine que les pachas, gouverneurs des provinces, prélevaient chaque année sur les populations vaincues. La Grèce et les côtes de l’Asie fournissaient les plus beaux contingents. Ces enfants n’avaient pas encore atteint leur adolescence, lorsqu’ils étaient ravis à leurs parents et amenés à Constantinople. Le capou-agasi (chef des eunuques blancs) choisissait parmi eux les plus beaux, les plus intelligents, les plus forts et les gardait dans le sérail, où ils oubliaient bientôt leur religion, leur pays, et jusqu’à leur famille. Les garçons, élevés sous la rude discipline des eunuques, apprenaient toutes les fonctions de la domesticité. On enseignait aussi aux plus intelligents l’arabe, le persan et les belles-lettres. C’est dans leurs rangs qu’étaient choisis les soixante pages de la chambre du sultan, ses musiciens, ses barbiers, ses secrétaires, ses baigneurs, son porte-glaive et souvent ses ministres ; l’élite de cette troupe était comme une pépinière de fonctionnaires : les moins favorisés tombaient dans les rangs infimes ; ils devenaient capijis (portiers), bastandjis (jardiniers), etc., etc. Les premiers s’appelaient ichoglans (garçons de l’intérieur) ; les seconds azamoglans (garçons de peine).
Les filles choisies parmi les enfants de tribut passaient dans le harem (quartier des femmes) ; elles étaient soumises à une discipline sévère et surveillées par les kaduns. Les kaduns (dames) y étaient des esclaves qui, entrées dans le sérail à la fleur de l’âge, y avaient vieilli sans avoir su plaire. Elles formaient la cour et le cortége des favorites et des princesses de la famille impériale. Les captives que renfermait le sérail venaient de toutes les parties du monde : les Tartares vagabonds y amenaient leurs prisonnières ; les Circassiens venaient, comme aujourd’hui, vendre leurs plus belles filles, et les pirates des États barbaresques y apportaient un contingent considérable de jeunes esclaves espagnoles, italiennes et même françaises.
Les eunuques noirs étaient spécialement destinés à garder et à servir toutes ces femmes. Leur chef, le kislar-agasi, était le personnage le plus important de la cour après le capou-agasi (chef des eunuques blancs). Celui-ci ne quittait jamais le sultan, auprès duquel il cumulait les fonctions de grand chambellan, de surintendant et de maître des cérémonies.
Les muets, créatures tout à fait subalternes, étaient habiles à serrer le fatal lacet. Quand la justice du sultan avait prononcé une sentence de mort, il l’exécutaient sur l’heure, sans appareil et sans bruit. Ces malheureux avaient un langage qu’ils se transmettaient, par tradition, et que tout le monde entendait dans le sérail, où d’ailleurs il était d’usage de parler par signes, le respect exigeant que l’on gardât toujours le silence en présence du Grand Seigneur. Les muets étaient, comme les pages, au nombre de soixante.
Les nains avaient aussi le privilége d’habiter les ap-