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lui, me mettant les mains et la chemise en lambeaux. Arrivé cependant au niveau de la bête, je lui adressai une balle qui l’atteignit dans le haut du cou, mais ne produisit aucun effet. Je modérai l’allure de Bryan et rechargeai mon fusil. J’avais conservé le petit galop, et quelques instants me suffirent pour reprendre notre ancienne position. Au moment où je pesais sur la bride, afin de mettre pied à terre, mon cheval se heurta contre un hallier, ce qui lui fit faire un mouvement de recul ; la girafe, pendant ce temps-là, prit une avance de cent yards. J’eus bientôt regagné le terrain perdu. Je voulais tourner la bête, mais elle filait comme un vaisseau à pleines voiles, battant l’air de ses pieds de devant, dont elle me rasait presque l’épaule. J’aurais eu cent occasions de tirer si j’avais pu descendre ; mais impossible d’arrêter Bryan, dont la bouche ne sentait rien du mors ; toutefois chez lui pas le moindre signe de défaillance, toujours la même ardeur. Je le rapprochai de l’animal, et tenant mon fusil d’une main, n’étant plus qu’à deux mètres de la girafe, celle-ci fut tirée droit à l’épaule. Le recul me lança mon fusil par-dessus la tête, et faillit me briser le doigt. La girafe, dont l’épaule était pulvérisée, tomba roide, avec un fracas épouvantable. J’avais chargé au hasard et mis sans doute une énorme quantité de poudre ; Bryan fut arrêté du coup. Je devais avoir fait plus de cinq milles, toujours en ligne droite, franchissant les rochers, traversant les halliers, et pendant le dernier mille, suivant l’animal à vingt pas, au milieu de cailloux qu’il faisait jaillir et qui me sifflaient au-dessus de la tête. »

Le 21 septembre, la caravane arrivait à Kolobeng, où sont les ruines de la maison de Livingstone, que les boers ont saccagée en 1852. Le 23, elle recevait la visite de Séchélé, « un beau Cafre, bien vêtu, à l’air intelligent, dit Baldwin, mais qui a trop bonne opinion de lui-même. Il ne veut pas que l’on chasse sur son territoire et commença par nous prier de déguerpir. »

Le 27, un magnifique orage fit espérer aux chasseurs que les citernes auraient un peu d’eau, chose importante pour eux, qui allaient s’engager dans la terre de la Soif. Désormais, la recherche des réservoirs devint l’objet de leurs préoccupations, le but principal de leurs courses.

Chasse à l’harrisbuck[1]. — Dessin de Janet-Lange d’après Baldwin.

Arrivés au bord du lit sableux d’une rivière ou d’un étang, ils prenaient la pioche et la pelle : on creusait, on déblayait ; parfois l’eau était profonde ; on coupait un arbre dont on élaguait les branches à quelques pouces du tronc ; les hommes s’échelonnaient sur ces degrés, le seau passait de main en main, était versé dans une fosse que l’on avait faite d’abord, et où les animaux étaient amenés deux à deux. Que de mal pour empêcher ces pauvres bêtes d’entrer dans l’abreuvoir, dont elles auraient transformé le liquide en boue épaisse ! Quelquefois on rencontrait une source filtrant par une fente de rocher ; on buvait, on emplissait les jarres, les bouteilles, les œufs d’autruche, les cornes de bœuf, les panses d’antilopes, tout ce qui pouvait contenir de l’eau : puis on brisait la pierre pour que les bêtes pussent se désaltérer. C’est ainsi qu’on abreuvait, goutte à goutte, huit chevaux, qui passaient d’abord, cinq chiens et quarante bœufs. Souvent ceux-ci, qui, flairant l’eau d’un ou deux milles, l’avaient gagnée la tête haute et aspirant la brise, n’en trouvaient plus quand venait leur tour, et ils

  1. Harrisbuck (aigocère noir), découvert en 1837, par le capitaine Harris, au retour d’une expédition commencée en 1837, et qui avait eu lieu chez les Matébélis, où précisément se rendait Baldwin à l’époque dont nous parlons.

    Le capitaine poursuivait un éléphant blessé, quand un point noir attira ses regards ; il prit son télescope et vit un groupe d’animaux qui lui semblèrent inconnus. Il se mit aussitôt à la recherche de cette petite bande qui était composée de neuf femelles et de deux mâles ; ceux-ci formaient l’arrière-garde. « M’étant approché, dit le capitaine, je mis pied à terre ; la bande s’arrêta pendant quelques secondes et me regarda d’un air surpris ; je n’en étais pas à cinquante yards. Mon rifle malheureusement s’était