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velle qui donne l’impulsion est mise en mouvement par les matelots. Ainsi les Chinois ont appliqué les premiers les roues à la navigation.

Les jonques de douane appartiennent aussi à la marine impériale. Elles sont moins grandes et affectent les formes les plus bizarres ; elles représentent tantôt des oiseaux, tantôt des dragons et des poissons avec leurs nageoires, leurs écailles et des têtes grimaçantes ; le gouvernail a la forme de la queue de l’animal ; ces bâtiments qui ont deux mâts avec des voiles carrées, des antennes en bambou, et deux coulevrines en batterie sur le pont, sont généralement peints des couleurs les plus éclatantes (voy. p. 93).

Les marins de l’État sont revêtus d’un costume uniforme en cotonnade bleue, et ne portent pas d’armes apparentes.

Les grandes jonques de commerce pontées partent quelquefois avec les moussons favorables pour trafiquer jusqu’aux Philippines et dans les îles de la Sonde : un de ces bâtiments, frêté par une maison de Canton et commandé par un capitaine américain vint en Californie à San-Francisco en 1850 avec une cargaison de thés, de porcelaines et de parfumeries ; le capitaine s’était risqué à faire l’immense traversée de l’océan Pacifique, et, en réalité, ces bâtiments, quoique très-lents et difficiles à manœuvrer, tiennent bien la mer à cause de leur forme ventrue qui rappelle celle des anciennes galiotes hollandaises. Les Chinois sont bons matelots, et composent souvent la plus grande partie des équipages des navires européens qui trafiquent dans ces mers ; malheureusement ils sont indisciplinés, voleurs et enclins à la piraterie.

Les sampans et les autres bateaux qui servent au commerce sur les rivières et les canaux sont grands, carrés des deux bouts, quelquefois avec quatre ou cinq mâts ; il y en a de toute espèce et d’appropriés à tous les transports ; les voiles sont en nattes de jonc, les ancres en bois de fer ; les manœuvres se font sans sifflet et sans commandement au moyen d’un chant nasillard et cadencé d’une intonation toute particulière.

Les jonques pour le transport des voyageurs ou coches d’eau, ressemblent à de véritables maisons flottantes : la masse de constructions qui les couvre rendant la manœuvre de la voile difficile, elles descendent le courant guidées, comme nos trains de bois par deux rameurs placés à l’avant et à l’arrière avec de longs avirons. Au lieu d’être assis et de couper l’eau d’avant en arrière, les Chinois rament debout et d’arrière en avant. Quand il faut remonter les cours d’eau, les mariniers halent à la corde, et, comme dans ce singulier pays, il semble que tout soit opposé à nos habitudes européennes, dès qu’ils ont trop chaud, ils se mettent nus jusqu’à la ceinture, non pas par le haut, mais par le bas ; c’est-à-dire qu’ils ôtent leurs culottes, et gardent leurs vestes ; ils prétendent ainsi avoir plus frais et se mieux garantir des coups de soleil.

C’est un spectacle pittoresque que de voir passer ces jonques pleines de voyageurs accroupis dans toutes les postures, jouant aux cartes et aux dés, prenant le thé et fumant l’opium ; de vigoureux coups de tam-tam qui résonnent au loin sur l’eau annoncent les arrivées et les départs.

Les barques de pêche se reconnaissent à leurs voiles en jonc, plissées comme des éventails, et à leurs grands filets noirs soigneusement tannés et étendus à l’extrémité des mâts.

Il y a aussi de petites jonques de mandarins, qui font l’office de yachts de plaisance ; elles sont fort élégantes : on y trouve salle à manger, chambre à coucher, salon, le tout peint, doré et verni ; l’arrière est réservé au maître, à l’avant se tiennent les domestiques. Pour ne pas être dérangé par le bruit, ni gêné par les manœuvres, l’heureux propriétaire se fait remorquer par un canot au moyen duquel six vigoureux rameurs traînent doucement sur la surface des eaux la pesante embarcation.

Enfin, on voit sur le fleuve une multitude de petits bateaux plats, qu’un seul homme dirige à la pagaie ; dans quelques-uns appelés keo-tchouen, le rameur couché à l’arrière, grâce à un mécanisme ingénieux qui lui permet cette posture, pagaie avec ses pieds, et le léger bateau, où de loin on ne voit personne, semble de lui-même glisser avec rapidité.

Ce qu’il y a de plus ingénieux dans la marine chinoise, c’est la division de la cale en plusieurs compartiments séparés, procédé adopté tout récemment en Europe, et qui empêche une voie d’eau de faire couler le bâtiment.

Dans le Peï-ho, le chenal est dans quelques endroits indiqué par des balises fixes ; seulement il ne faut pas trop s’y fier, parce que le lit de la rivière est changeant.

À Tien-Tsin, on voit encore des bateaux-moulins avec roues de chaque côté, et un pont de bateaux construit dans un système tout particulier, et dont la gravure suivante donnera une idée exacte.

Enfin, on rencontre sur le Peï-ho de grands trains de bois, construits comme les nôtres, sinon qu’ils ont des mâts et des voiles ; ces trains, allant par le canal impérial jusque dans le centre de la Chine, et mettant fort longtemps à accomplir ce voyage, portent des maisons ou plutôt des huttes, autour desquelles les mariniers ont amassé de la terre végétale en assez grande quantité pour cultiver des légumes ; ce sont des potagers flottants, et les radeaux eux-mêmes forment des colonies où vivent des familles entières.


TIEN-TSIN.

Yamoun occupé par la légation. — Description d’un boudoir chinois. — Jeune fille abandonnée. — Palais impérial concédé aux missions françaises. — Pagode des supplices.

Ce fut le 12 novembre 1860, que les voyageurs arrivèrent à Tien-Tsin ; grâce aux sinuosités du Peï-ho, il avait fallu deux jours pour franchir les soixante-douze kilomètres qui séparent cette ville de l’embouchure du fleuve.

La légation de France fut installée dans un yamoun[1]

  1. Yamoun est le nom donné, en chinois, à la réunion de kiosques, de pavillons, de cours et de jardins entourés d’un grand