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au Fils du Ciel, lorsqu’il avait voulu attenter à sa personne ; il voyait là un moyen habile de sauvegarder aux yeux du peuple conquis l’inviolabilité du prestige impérial, dont il s’était revêtu par la force.

L’arbre est mort de vétusté, mais il porte encore sur son tronc desséché d’énormes chaînes de fer.

Le Pei-tha-sse, placé au milieu d’un massif de verdure sur une colline artificielle, est entouré de kiosques, de pagodes et de bonzeries : sa coupole arrondie en forme de chapeau surmonté d’un clocheton à trois pointes se détache avec vigueur au-dessus des eaux tranquilles. Cette coupole dorée, et les hauts mâts qui indiquent le monument Impérial s’élèvent au-dessus des grands arbres ; le reste des édifices apparaît dans un désordre pittoresque au milieu de leur épais feuillage.

Vue du Pei-tha-sse. — Dessin de Lancelot, d’après un dessin de M. Heine, album de Mme de Bourboulon.

À l’extrême droite, on aperçoit le beau pont de marbre qui relie la Ville Jaune à la Ville Mongole ; ce pont, analogue à celui de Pa-li-kiao, et qui paraît être de la même époque, est un chef-d’œuvre de sculpture : le marbre, fouillé à jour, s’y contourne en spirales gracieuses, et prend toutes les formes que l’art et la patience des Chinois ont su lui donner.

Le pont a une écluse au moyen de laquelle on renvoie l’eau à volonté dans les deux parties du lac.

La mer du Milieu, qui a généralement peu d’eau, est entourée de vastes parcs impériaux, où on admire de superbes futaies ; quelques Fou ou palais y sont seuls établis.

Arrêtons-nous, en passant, devant cette pagode située à l’angle nord-ouest de la Ville Rouge ; c’est là que les princes de la famille impériale vont passer leurs examens littéraires, dont ils ne sont pas plus dispensés que les simples mandarins. Elle est bien plus richement ornée que le Temple des lettrés que nous avons vu au commencement de la journée ; il y a deux petits pavillons en bois peint et sculpté avec un goût exquis ; le toit du kiosque principal est surmonté d’un immense dragon à cinq griffes, l’emblème impérial : ses écailles vertes, sa langue rouge, ses yeux de porcelaine blanche et noire ressortent sur les tuiles d’or ; une foule d’autres animaux fabuleux hurlent, se tordent et se combattent dans les postures les plus incroyables sur les montants, les chambranles, les plinthes et les arceaux de cette pagode, une des plus curieuses et des mieux conservées de Pékin, où l’on en compte des milliers.

Voici les murs d’enceinte de la Ville Impériale, reconnaissables à la couleur rouge des briques dont ils sont construits ; un chapiteau, couvert de tuiles vernissées en jaune d’or, les recouvre dans toute leur étendue.

C’est de là que vient le nom de Ville Rouge, que les Chinois donnent au palais Impérial, dont les nombreux bâtiments couvrent une superficie de quatre-vingts hectares.

La Ville Rouge, qui forme un quadrilatère, est défendue, outre ses murailles, par de larges fossés. Quatre portes y donnent accès sur les quatre faces principales.

Il est impossible d’y entrer ; et quelle que soit notre curiosité, il faut nous contenter de la vue des toits dorés des grands pavillons qui s’y succèdent symétriquement.

Tous ces édifices sont recouverts de laque jaune, couleur exclusivement réservée à l’empereur.

Le palais Impérial est une enceinte inviolable : aucun Européen n’a pu y pénétrer dans les temps modernes.

Le capitaine Bouvier m’a raconté qu’ayant un jour franchi les fossés sur un ponceau, il s’était introduit dans l’intérieur par une brèche de la muraille ; mais, à peine avait-il fait quelques pas, qu’un mandarin militaire se présenta, suivi de quelques soldats, et, comme le capitaine ne voulait pas tenir compte des supplications qu’il lui faisait pour l’inviter à repasser par la brèche, l’infortuné Chinois lui fit voir son cou avec un geste significatif qui voulait dire que, s’il persistait à forcer la