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consigne, il recevrait une cravate de soie pour avoir laissé pénétrer un Européen dans le sanctuaire impérial.

Le capitaine ne voulut pas se charger la conscience de la mort d’un homme, et retourna dans la Ville Jaune.

Il n’en était pas de même au dix-huitième siècle, alors que les missionnaires avaient obtenu toute la confiance de l’empereur Khang-hi ; plusieurs d’entre eux furent admis dans la Ville Impériale et en ont laissé des relations fidèles.

Voici ce qu’en dit le P. Grosier : « Le palais de l’empereur comprend neuf vastes cours qui se succèdent les unes aux autres et qui se communiquent par des portes de marbre blanc, surmontées de pavillons sur lesquels éclatent l’or et le vernis. Des bâtiments ou des galeries forment l’enceinte de ces cours qui sont accompagnées latéralement d’un grand nombre d’autres destinées aux offices et aux écuries. La première, qui est celle d’entrée, est très-spacieuse ; on y descend par un escalier de marbre, orné de deux grands lions en airain et d’une balustrade de marbre blanc qui forme le fer à cheval ; elle est arrosée d’un ruisseau qui la traverse en serpentant, et que l’on passe sur des ponts de marbre. Au fond de cette cour s’élève une façade percée de trois portes : celle du milieu est réservée à l’empereur ; les grands passent par les portes latérales. Les portes introduisent dans une seconde cour qui est la plus vaste du palais ; une immense galerie l’environne de toutes parts, et sur cette galerie sont placés les magasins de choses précieuses qui appartiennent en propre à l’empereur. Le premier de ces magasins est rempli de vases et d’autres ouvrages de différents métaux ; le second renferme les plus belles espèces de pelleteries et de fourrures ; le troisième des habits fourrés de petit-gris, des peaux de renard, d’hermine et de zibeline que l’empereur donne quelquefois en présent à ses officiers ; le quatrième est un dépôt de diamants, de pierres précieuses, de marbres rares et de perles fines pêchées sur la côte de Tartarie ; le cinquième, qui est à deux étages, est plein d’armoires et de coffres qui contiennent les étoffes de soie à l’usage de l’empereur et de sa famille ; d’autres magasins renferment les armes, arcs, piques, sabres, gingolls, arquebuses enlevés à l’ennemi ou offerts par les princes tributaires.

« C’est dans cette seconde cour que se trouve la salle Impériale, appelée Tèa-ho-tien, ou salle de la Grande-Union. Elle est bâtie au bout de cinq terrasses placées les unes sur les autres, et qui se rétrécissent graduellement en s’élevant. Chacune de ces terrasses est revêtue de marbre blanc et ornée de balustrades artistement travaillées. C’est devant cette salle que se rangent tous les mandarins, lorsqu’aux jours marqués ils viennent renouveler leurs hommages et faire les cérémonies déterminées par les lois de l’empire.

« Cette salle, qui est presque carrée, à environ cent trente pieds de longueur ; son lambris est sculpté, vernissé en vert et chargé de dragons dorés ; les colonnes qui en soutiennent le faîte ont six à sept pieds de circonférence à leur base, et sont enduites d’une espèce de mastic revêtu d’un vernis rouge écarlate ; le pavé est couvert d’un tapis ; les murailles sont sans aucun ornement, sans lustres, sans peintures et sans tapisseries.

« Le trésor, qui est au milieu de la salle, consiste en un vaste coffre formant une estrade assez élevée, sans autre inscription que le caractère chin, qu’on peut interpréter par le mot sacré.

« Sur la plate-forme qui porte cette salle, on voit de grands vases de bronze dans lesquels on brûle des parfums les jours de cérémonie. On y voit aussi des candélabres façonnés en oiseaux et peints de diverses couleurs, ainsi que les bougies et les torches qu’on y allume.

« Cette plate-forme se prolonge vers le nord et porte deux autres salles : l’une est une rotonde percée de beaucoup de fenêtres, et toute brillante de vernis ; c’est là que l’empereur change d’habits avant ou après la cérémonie ; l’autre est un salon dont une des portes est tournée vers le nord, et c’est par où l’empereur, sortant de son appartement, doit passer lorsqu’il vient recevoir sur son trône les hommages des grands de l’empire ; alors il est porté en chaise par des officiers habillés d’une longue veste rouge brodée en soie et couverts d’un bonnet surmonté d’une aigrette. »

J’ajouterai à ces détails qu’il y a aussi dans l’intérieur des casernes et des écuries pouvant contenir quinze mille hommes de troupe et cinq mille chevaux, et qu’enfin la Ville Rouge constitue à elle seule une forteresse défendue par l’enceinte fortifiée de la Ville Jaune, qui est contenue elle-même dans les remparts de la Ville Mongole. Ainsi il faudrait trois siéges successifs pour s’emparer du palais Impérial.

En contournant l’enceinte extérieure, nous arrivons à la porte du Sud de la Ville Jaune (Tat-Sing-Men).

Les deux grands parcs qui bordent chaque côté de cette large avenue renferment d’anciennes bonzeries abandonnées depuis l’avénement des empereurs mandchou.

Dès qu’on a franchi la porte de Tat-Sing, on arrive sur une grande place où sont de vastes caves contenant des dépôts de charbon de bois et de combustible.

Mais le jour baisse, Pékin n’est pas éclairé la nuit, et nous n’avons pas de lanternes. Nous retournerons donc à gauche, si vous le voulez bien, dans la rue de Toun-tiau-mi-tiau que voici devant nous, et qui nous ramènera à la Légation française.


SUITE DE LA VILLE TARTARE. — LA VILLE CHINOISE.

La bonzerie de la Ville Jaune. — La pagode impériale. — L’écurie des éléphants. — Établissements des missions catholiques, anglicanes et grecques. — La cathédrale. — Attelage de deux cents chevaux. — Le carrefour des exécutions. — Horrible spectacle. La rue des libraires. — La musique d’un enterrement. — Passage du bric-à-brac. — La grande Avenue du Centre. — Ouvriers ambulants. — Orateurs populaires. — Diseur de bonne aventure. — Temple du Ciel.

J’ai fait faire au lecteur dans le chapitre précédent une longue promenade dans la Ville Tartare. Je n’ai pu pourtant lui faire visiter la partie occidentale de cette grande cité, où se trouvent quelques monuments dignes d’intérêt, et dont je vais donner une description succincte.