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pareilles, l’histoire par une main tenant le symbole de l’équité. Ces ingénieuses figures ne suffisant bientôt plus, on les combina à l’infini, on les altéra en les multipliant, et il faut toute la science d’un vieux lettré pour reconnaître les dessins de l’écriture primitive dans les caractères actuels qui sont au nombre de plus de quarante mille. Ainsi s’est formée l’écriture moderne, écriture figurée qui ne correspond pas à la langue parlée, exception unique parmi les peuples civilisés.

On comprendra donc facilement que savoir lire et écrire la langue chinoise soit une science qui demande de longues études aussi bien aux gens du pays qu’aux étrangers : d’ailleurs elle varie jusque dans ses formes grammaticales ; on y distingue trois sortes de styles, le style antique ou sublime employé dans les anciens livres canoniques, le style académique qui est adopté pour les documents officiels et littéraires, et le style vulgaire.

Les Chinois attachent un grand prix à une belle écriture ; un calligraphe ou, selon leur expression, un pinceau élégant est digne d’admiration. Le capitaine Bouvier et un des interprètes de la légation de France rendaient un jour visite à Tchong-louen, un des hauts fonctionnaires de Pékin : son fils, mandarin à bouton bleu, jeune homme de vingt-deux ans, déjà père d’un enfant, c’est-à-dire d’un fils, car les filles ne comptent pas, était présent dans le salon de réception ; Tchong-louen, voulant donner une idée de son précoce mérite à ses visiteurs, envoya chercher une grande pancarte de carton sur laquelle le jeune homme avait tracé en contours superbes le mot longévité, et la leur fit voir avec la même fierté que s’il se fût agi de l’attestation d’une action d’éclat ou d’un ouvrage littéraire. Il y a des pancartes semblables, des modèles d’écritures, pendus dans les chambres des maisons, comme on le fait en Europe pour les dessins d’Académie.

Feu l’empereur Hien-Foung. — Dessin d’Émile Bayard d’après une peinture chinoise (voy. p. 88).

L’aspect de l’écriture chinoise est étrange : les caractères sont placés les uns au-dessous des autres en lignes verticales, et vont de droite à gauche ; en un mot, sur ce point comme sur tant d’autres, les Chinois procèdent d’une manière absolument inverse de la nôtre. La position dans laquelle sont placés les caractères est d’ailleurs fort importante ; par exemple le nom de l’Empereur doit s’écrire avec deux lettres plus hautes que les autres ; y manquer serait se rendre coupable de lèse-majesté. Tout le monde connaît l’encre de Chine : c’est avec cette substance délayée dans l’eau et un pinceau que les Chinois tracent les caractères de leur écriture, en tenant leur main perpendiculaire au lieu de la placer horizontalement sur le papier.

La langue parlée est beaucoup moins difficile ; elle se compose de monosyllabes dont la réunion variée à l’infini exprime toutes les idées. Il faut y ajouter les accents qui donnent une tonalité et une expression différente aux racines monosyllabiques. La langue du midi diffère assez de celle du nord pour que les indigènes ne puissent se comprendre sans le secours du pinceau. En outre chaque province à son patois particulier.

Malgré les difficultés que présentent l’écriture et la lecture des caractères chinois, la Chine est assurément le pays du monde où l’instruction primaire est le plus répandue. On trouve des écoles jusque dans les plus petits hameaux dont les agriculteurs s’imposent volontairement pour entretenir les maîtres. Il est très-rare de rencontrer un Chinois complètement illettré. Les ouvriers, les paysans sont capables de faire eux-mêmes leur correspondance, de déchiffrer les affiches et proclamations gouvernementales, de tenir note de leurs affaires journalières. L’enseignement des écoles primaires a pour base le San-tse-King, livré sacré attribué à un disciple de Confucius qui résume en cent soixante-dix-huit vers toutes les sciences