gérence dans les affaires purement indigènes n’était pas
prévue, paraît-il, par les traités qui ont réglé notre établissement
dans le pays ; mais elle a été la conséquence
naturelle du désir qu’a chaque candidat de s’assurer notre
appui, et de l’espoir qu’il nourrit de voir sa déférence
récompensée par quelque cadeau important.
L’initiation au pouvoir n’est pas toujours sans amertume pour le nouvel élu, car bien souvent la veille de son triomphe, ses futurs sujets lui font payer par des injures et des horions l’obéissance que le plus sincèrement du monde ils lui offriront le lendemain. Cette singulière manière de graver dans la mémoire de ses chefs le souvenir de leur modeste origine et de la commune égalité, prouve que si le Gabonais est un médiocre courtisan, il ne manque pas en revanche d’un certain esprit de philosophie pratique.
L’autorité des chefs m’pongwés se borne à bien peu de chose, aujourd’hui que notre présence exclut toute possibilité de querelles de village à village. Dans chacun de ceux-ci la police leur appartient ; et le règlement des petites discussions qui surgissent entre les habitants leur est d’autant plus facile que quelques-uns d’entre eux, souches d’une nombreuse lignée, complètent le pouvoir qu’ils tiennent de l’élection par l’autorité toujours respectée du père de famille. Quant aux difficultés extérieures, elles sont le plus souvent réglées par le commandant français ; et son rôle de grand justicier est loin d’être une sinécure, car ses administrés, fort peu respectueux de la propriété d’autrui, filoutent volontiers les gens des villages éloignés, comptant sur une impunité que la distance et l’absence d’une police bien régulière ne leur assurent que trop souvent.
Le chef gabonais le plus important est aujourd’hui le roi Denis, vieillard vénéré des indigènes et entouré de la considération des Européens. Parlant tant bien que mal, comme beaucoup de chefs de la côte d’Afrique, plusieurs
Débarcadère et chantier des embarcations. — Dessin de Thérond d’après une photographie de M. Houzè de l’Aulnoit.
langues étrangères, le français, l’anglais, le portugais
et un peu l’espagnol, il a été en relations, pendant
la période active de sa vie, avec tous les peuples
qui font du commerce au Gabon, et à tous il a eu
occasion de rendre quelque service. Il a facilité notre
établissement par son influence et nous a toujours prêté
l’appui de son crédit auprès de ses compatriotes. Aussi
le gouvernement français l’a-t-il récompensé de son zèle
en lui donnant la croix de la Légion d’honneur. Rome
a également reconnu par une décoration les services qu’il
a rendus à la Mission catholique, à laquelle il a confié
l’éducation de quelques-uns de ses enfants. Denis n’en
est pas moins resté fétichiste comme par le passé, et je
ne voudrais pas jurer qu’il ne fût pas à l’occasion quelque
peu négrier. Ces décorations ne sont pas les seules
preuves qu’il ait reçues de la munificence européenne.
L’Angleterre lui a fait don d’une médaille et de plusieurs
splendides uniformes ; la France a également pris soin de
monter sa garde-robe, et peu de gens peuvent se vanter
d’être aussi bien vêtus. Tout récemment, lorsqu’il s’est
agi d’étendre notre autorité sur les populations du cap
Lopez, auprès desquelles sa renommée de prudence et
de sagesse lui a donné un grand crédit, c’est lui qui
s’est chargé de la négociation du traité, et dans cette
occasion solennelle il a pu, pendant près de deux semaines,
apparaître à ses sujets émerveillés, chaque
jour dans un costume nouveau, et chaque jour plus
brillant que la veille : aujourd’hui en général français,
demain en marquis de Molière, plus tard en amiral anglais,
et la tête invariablement ornée d’une perruque qui
n’est certes pas la partie de son costume à laquelle il
attache le moins de prix, car cette parure n’est pas encore
devenue parmi les chefs indigènes aussi banale que
les uniformes militaires.
Tel est le personnage dont nous avons reproduit les traits (p. 277). Un regard encore assez vif, un mélange