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l’usine de MM. Vivian ; ce fut celle naturellement que nous demandâmes à visiter. Après quelques difficultés, et quand nous eûmes fait connaître nos noms, nos qualités et le but de notre visite, la permission nous fut accordée, mais pour une fois seulement. Il fut bien entendu aussi que nous ne prendrions aucun croquis géométrique coté, c’est-à-dire avec les dimensions exactes des fours et autres appareils en usage dans l’établissement. La seule chose qui nous fut permise, ce fut de crayonner sur nos albums des vues perspectives de l’ensemble ou des détails de l’usine. On n’est pas toujours aussi accommodant, et je n’avais pas oublié pour mon compte que deux ans auparavant, accompagnant à Swansea un de mes camarades, ingénieur des mines en Piémont, la porte de l’usine nous fut refusée, après une première visite, parce que mon ami, je crois, tirant son mètre de la poche, pendant que je causais avec notre cicérone, avait mesuré la longueur d’un laminoir à cuivre.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Toiser un laminoir ! quel crime abominable !
    Le renvoi seul était capable
D’expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Ce qui frappe, quand on entre dans l’usine de MM. Vivian, c’est une apparence de désordre et de laisser-aller tout anglaise, mais qui va bien à une usine aussi vaste, aussi pleine de vie que la leur. Les charpentes, les toits du bâtiments sont établis tant bien que mal, le sol n’est pas même nivelé, encore moins pavé ou parqueté ; les fours, dont les maçonneries en briques sont à peine retenues par des armatures en fer, penchent à droite ou à gauche, ventrus sur le devant. Ils sont isolés ou tout au plus accouplés. On dirait que la chaleur va faire éclater la maçonnerie, tant on semble avoir mis peu de soin à lier les briques entre elles et à les établir d’à-plomb. On n’a rien sacrifié à l’élégance, mais en retour l’activité, le mouvement règnent partout. Il y a dans l’usine plus de huit cents ouvriers et jusqu’à quatre-vingts fours à réverbère sans cesse en feu, soit pour le grillage et la fusion du minerai, des mattes et des scories, soit pour l’affinage, le raffinage et le réchauffage du métal. Chaque four a sa cheminée, une colonne pyramidale qui surmonte les toits de l’usine. Quand tous les fours sont allumés, ces colonnes dégagent dans l’air une épaisse fumée, tantôt noire, tantôt blanchâtre, qui obscurcit l’atmosphère ; souvent la flamme elle-même sort par l’orifice des cheminées. Comme toutes les usines sont à peu près concentrées au même point, dans un vallon stérile que longe un canal navigable, rien de plus saisissant à voir que ces mille bouches de fumée travaillant toutes à la fois.

Dans le traitement métallurgique, des éléments malfaisants s’échappent du minerai : arsenic, phosphore, soufre, chlore, etc., la plupart du temps à l’état d’acides. Ces vapeurs empestées, en se répandant dans l’air ambiant, ont tué toute végétation, pelé, calciné la roche avoisinante, de telle façon qu’aucune culture n’est possible dans un rayon de plusieurs milles autour des usines à cuivre. Les hommes eux-mêmes se ressentent à la longue de ces émanations méphitiques, et beaucoup d’ouvriers des usines qui respirent ces gaz dès leur sortie du fourneau, alors que l’action en est la plus vive, portent sur leurs traits l’empreinte d’une pâleur et d’une maigreur caractéristiques.

Je ne voudrais pas faire ici un cours de métallurgie du cuivre, fût-ce même à l’usage des gens du monde ; il est bon cependant de donner dès à présent une idée des importantes opérations qui s’accomplissent dans les usines de Swansea. Le minerai, on l’a vu, vient de tous les points du monde entier, depuis le minerai pyriteux et quartzeux du Cornouailles et du Devon, qui souvent ne renferme pas plus de 2 à 3 pour 100 de cuivre, jusqu’au cuivre natif de Coro-Coro en Bolivie, véritable poudre métallique imprégnant des grès riches jusqu’à 80 pour 100 ; depuis les cuivres panachés et les sulfures gris de Toscane atteignant 70 pour 100, et les malachites de Bora-Bora en Australie dépassant 20 et 25 pour 100, jusqu’aux mattes, aux cuivres noirs et aux cuivres rosettes du Chili, dont les teneurs vont quelquefois jusqu’à 90 et 95 pour 100. Mais ces teneurs élevées ne sont elles-mêmes qu’une exception, et la moyenne par laquelle on commence ne dépasse pas, je l’ai dit ailleurs, 10 à 12 pour 100.

La première opération est le grillage ou rôtissage du minerai préalablement pulvérisé. Sur la sôle du four à réverbère, l’ouvrier étend la matière à traiter, après avoir allumé le feu. Le charbon qu’on emploie est l’anthracite de Swansea, houille dure, sèche, brûlant avec très-peu de flamme. On a corrigé ces qualités qui conviennent peu pour le four à réverbère en chargeant le combustible dans le foyer sur une grande hauteur. De cette façon, les gaz résultant de la combustion et l’air traversant cette masse embrasée s’enflamment vers la partie supérieure, et une langue de feu rabattue par la voûte lèche l’aire du fourneau. Je dois faire remarquer ici que le foyer n’a pas de grille, mais l’art du chauffeur a su en créer une artificiellement, au moyen des cendres du combustible qui descendent vers les parties les plus basses, fondent et se figent, laissant entre elles des interstices, à travers lesquels circule l’air destiné à embraser le charbon.

La flamme, en s’étendant sur la sôle du réverbère pour se rendre à la cheminée, chauffe le minerai jusqu’au rouge. L’ouvrier le brasse incessamment avec de longues barres de fer, qu’en français on appelle râbles, spadelles ou ringards, pour l’empêcher de s’agglutiner et de subir un commencement de fusion. Le soufre, l’arsenic, le chlore, que renferme la matière élaborée, se dégagent, soit par les portes de travail, soit par la cheminée. On les reconnaît aisément, le soufre surtout à son odeur piquante, l’arsenic à son odeur d’ail si caractéristique. Quand l’opération est terminée, le minerai a perdu de 12 à 15 pour 100 de son poids. Cette perte consiste principalement en eau, acide carbonique, soufre, arsenic et autres matières volatiles.

Après le rôtissage du minerai vient une première fu-