REVUE GÉOGRAPHIQUE,
1865
I
L’Afrique et ses exploitations se présentent encore au premier rang dans le mouvement si remarquable des découvertes contemporaines. Comme tous les spectacles qui nous ont vivement frappés par la grandeur et l’imprévu, celui-ci s’est emparé de notre esprit et reste empreint d’un puissant intérêt. Les beaux et fructueux voyages d’un Barth, d’un Livingstone, d’un Burton, d’un Speke et de tant d’autres pionniers intrépides, en même temps qu’ils ouvrent la porte à d’autres découvertes et qu’ils en montrent la route, éveillent en Europe le désir impatient de voir les poursuites s’étendre et se compléter.
Déjà d’heureuses tentatives viennent de conduire à de très-grands résultats.
Une découverte considérable va combler une des plus regrettables lacunes que l’itinéraire des capitaines Speke et Grant et travers l’Afrique équatoriale laissait dans le haut bassin du fleuve Blanc.
Ceux qui ont lu la relation de l’infortuné capitaine Speke[1] se rappelleront sans doute que bientôt après s’être éloignés de l’extrémité septentrionale du Victoria Nyanza, grand lac situé au milieu même de la zone équatoriale, partie en deçà, partie au delà de l’équateur, Speke et son compagnon le capitaine Grant furent obligés d’abandonner la rivière qui sert de déversoir au lac et qu’ils avaient suivie jusque-là, et que, perdant de vue cette rivière qui se porte à l’ouest par un large coude, ils durent pousser droit au nord dans la direction de Gondokoro. Le point où leur itinéraire se sépara ainsi du grand courant où se déversent les eaux du Nyanza (et qu’ils regardent comme la tête du fleuve Blanc) est par 2° environ de latitude nord. D’après les informations verbales des indigènes, il y avait là plus loin vers l’ouest, un autre lac d’une étendue considérable appelé le Louta-Nzighé, où allait se jeter, d’après leurs dires, la rivière sortie du Nyanza.
Ces renseignements, si vagues qu’ils fussent, laissaient entrevoir tout un système hydrographique qu’il eût été fort important d’aller reconnaître ; Speke et son compagnon regrettèrent vivement que les circonstances où ils se trouvaient ne leur permissent pas de se lancer dans cette reconnaissance. À Gondokoro[2] où ils rencontrèrent un compatriote, M. W. Baker, leurs entretiens à ce sujet enflammèrent l’imagination de l’aventureux voyageur, qui résolut de s’enfoncer à son tour dans la direction du lac inconnu. C’était au milieu de février 1863. Telle a été l’origine de la découverte que nous avons à signaler.
Deux mots sur le nouvel explorateur.
II
M. Baker est ingénieur de son état, mais voyageur d’instinct et chasseur de passion. « Les Anglais, dit-il quelque part, sont naturellement doués de l’esprit d’aventure. Tous ont au cœur un germe de liberté qui ne demande qu’à franchir les rives de l’île natale. Comme le poussin qui de lui-même court à l’eau dès qu’il a brisé sa coquille, le premier mouvement de l’Anglais livré à lui-même est de se lancer à travers le monde. »
Ce portrait qu’il a tracé, M. Baker en est le type. Ses premières aventures ont eu pour théâtre l’île de Ceylan. Les grandes forêts et leurs chasses vraiment royales le
- ↑ L’édition française a été publiée à la maison Hachette, un volume grand in-8o avec cartes et illustrations, 1864.
- ↑ Ancienne station des missionnaires autrichiens, sur le haut fleuve Blanc, par 4° 54′ 5″ de latit. N., selon les observations du capitaine Speke, qui a également trouvé pour la longitude de ce point important 29° 25′ 16″ E. du méridien de Paris.