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retinrent huit années entières sur cette terre splendide, dont il a publié une attachante relation[1]. Las de courir le daim et d’abattre les éléphants, il revint en Europe. Nous le retrouvons alors livré à des travaux d’une autre nature ; c’est sous sa direction qu’a été construit le chemin de fer de la Dobroudja, du bas Danube à la mer Noire. Mais sa passion de chasses et d’aventures le reprend de nouveau, et cette fois elle le pousse en Afrique. C’était au moment où le capitaine Speke, revenu des grands lacs de l’Afrique australe en 1859 avec le capitaine Burton, entreprenait son nouveau voyage à la recherche des sources du Nil. Il y avait entre les deux voyageurs plus d’un motif de sympathie. Tous deux déterminés chasseurs, éprouvés l’un et l’autre par le soleil de l’Inde, d’une nature également énergique et propre aux entreprises difficiles, ils étaient faits pour affronter les mêmes épreuves et courir les mêmes hasards. Ne pouvant se joindre au capitaine Speke, ce qui eût été son rêve, M. Baker voulut du moins se porter vers la région équatoriale à la rencontre de l’expédition, dans la pensée qu’un auxiliaire bien ravitaillé pourrait, même à la dernière heure, ne pas être inutile à des explorateurs épuisés. Sa prévision n’a pas été déçue ; et il y a gagné de plus cette heureuse fortune d’être lui-même entré dans la voie des grandes découvertes.

C’est au milieu de 1861 que M. Baker arriva dans les hauts pays du Nil. Plusieurs courses qui ne seront pas inutiles à la géographie le conduisirent en premier lieu dans les plaines peu connues qu’arrose le Sétit, affluent oriental de l’Atbara. Ces contrées, actuellement si obscures et livrées seulement aux tribus pastorales, ont eu autrefois leur notoriété classique, car elles appartiennent ou confinent au royaume jadis célèbre de Meroé. M. Baker n’est pas moins familier avec les instruments de précision qu’avec la carabine ; ses observations seront sans aucun doute d’un précieux secours pour fixer la carte, encore un peu flottante sur bien des points, de ces pays nouveaux et des territoires plus méridionaux où il a pénétré.

Revenu de l’Atbara à Karthoum, il se remit en campagne au milieu de décembre 1862, cette fois pour remonter le fleuve Blanc à la rencontre des capitaines Speke et Grant. Il eut la joie d’être rejoint par eux à Gondokoro le 23 février 1863 ; c’est là qu’il reçut d’eux les informations qui le décidèrent à se porter à son tour vers la région qu’ils venaient de traverser. Il voulait explorer la partie du fleuve Blanc (ou estimé tel) qu’ils avaient forcement perdue de vue, et reconnaître le Louta-Nzighé. Une première fois l’insubordination de son escorte le contraignit de revenir à Gondokoro avant de s’être enfoncé bien avant dans le sud. Une seconde escorte refusa également de le suivre dans cette direction, si bien qu’en désespoir de cause il prit le parti de se porter à l’est vers le Sobat. Le Sobat est un grand affluent de la droite du fleuve Blanc, à mi-chemin environ entre Gondokoro et Khartoum ; sauf la partie voisine de son confluent, son cours est absolument inexploré.

C’est une des nombreuses conquêtes encore réservées aux voyageurs futurs, dans la région élevée comprise entre le fleuve Blanc et l’Abyssinie. La reconnaissance de cette portion importante de l’hydrographie du haut bassin du Nil a éveillé l’ambition de bien des explorateurs, et des plus éminents, depuis M. Antoine d’Abbadie jusqu’à MM. de Heuglin et Baker, sans qu’aucun d’eux ait pu l’accomplir.

Parti de Gondokoro au commencement d’avril 1863, M. Baker se dirigea vers le sud-est jusqu’à une localité des Béris appelée Latouka, déjà visitée deux ans auparavant par notre compatriote le docteur Peney, si malheureusement enlevé à la science au moment où il allait entreprendre l’exploration du fleuve Blanc au-dessus de Gondokoro[2]. Le 12 avril 1863, M. Baker écrivait de Latouka au consul général anglais Colquhoun qu’il allait s’arrêter là quelques semaines, après quoi il se proposait de se porter vers le Sobat. Il pensait que l’excursion pourrait bien durer neuf mois. Un temps considérable s’écoula après cette lettre sans qu’on eût de lui aucune nouvelle directe. Enfin, dans les derniers jours de mai 1864, quelques-uns des hommes qui avaient fait partie de son escorte arrivèrent à Khartoum, et l’on sut par eux que le voyageur s’était finalement dirigé non vers le Sobat, selon sa première intention, mais vers la résidence de Kamrasi, chef d’Ounyoro (à une centaine de milles anglais au nord du Nyanza), pays bien connu par la relation de Speke[3]. C’était là que ces hommes l’avaient laissé. Kamrasi lui avait fait un très-bon accueil, et ne demandait pas mieux que de nouer des rapports suivis avec Gondokoro.

Cependant le temps s’écoulait de nouveau, et il n’arrivait pas d’autres nouvelles du voyageur. À l’impatience commençaient à se mêler des inquiétudes de jour en jour plus sérieuses. Depuis plus de vingt mois pas une ligne, pas la moindre nouvelle directe ou indirecte. On commençait à désespérer complétement, quand tout à coup, de Khartoum à Alexandrie, arrive par le télégraphe la joyeuse nouvelle que Baker est de retour, qu’il revient avec des découvertes et tout un bagage scientifique des plus importants, et qu’il est sur le chemin de l’Europe. Des lettres de Baker lui-même écrites de Khartoum à la date du 10 mai dernier (1865), confirment bientôt après l’heureuse nouvelle, et joignent les premiers détails. Une lettre de M. Baker, arrivée en Angleterre par la voie du Caire, renferme des informations circonstanciées sur l’exploration du Louta-Nzighé, et sur sa situation précise par rapport au Victoria Nyanza.

  1. Eight years’Wanderings in Ceylan. London, 1855. Ce volume avait été précédé d’un premier livre d’impressions et de récits plus particulièrement cynégétiques, The rifle and the hound in Ceylon.
  2. Voir à ce sujet notre 2e volume de l’Année géographique, p. 59 et suiv.
  3. Voir p. 471 et suivantes de l’édition française. Les observations de Speke fixent la position de M’rouli, résidence de Kamrasi, par 1° 37′ 43″ de lat. N.