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rapacité éhontée d’un traitant indigène, à la merci duquel on se trouvait livré, sans compter les difficultés communes d’un voyage de ce genre à travers les pluies tropicales, qui surprirent la caravane avant qu’elle pût gagner les hautes terres du sud où l’on avait espéré arriver à temps : telles ont été les rudes épreuves par lesquelles a passé cette expédition, commencée sous de si riants auspices.

Elle n’aura cependant pas été, grâce à M. de Heuglin, sans résultats pour la science. L’habile et persévérant observateur a recueilli des faits nombreux dont s’enrichira l’histoire naturelle de l’Afrique centrale. Il a déterminé astronomiquement la position de plusieurs points, en même temps que des notes exactes ont été tenues sur l’aspect physique des pays parcourus et leur topographie ; et comme on s’est avancé plus loin à l’ouest qu’aucun Européen ne l’avait fait auparavant, la carte d’Afrique s’est enrichie sur ce point d’une addition importante. Ces riches matériaux, par un empressement de publicité bien digne de servir d’exemple à la tardive élaboration de tant d’autres voyageurs, sont déjà livrés à la publicité scientifique ; M. de Heuglin en a fait l’objet d’un mémoire circonstancié qui a trouvé immédiatement place dans le précieux journal de M. Augustus Petermann, les Mittheilungen de Gotha[1], accompagné d’une grande et belle carte où sont rapportés les matériaux topographiques et astronomiques si chèrement achetés par l’expédition.


VI


À côté de ces beaux résultats dus aux dernières investigations du haut bassin du Nil, d’autres entreprises se continuent et se préparent dans l’Afrique orientale, qui promettent de non moins riches additions à la carte du continent. Ces entreprises appartiennent à des hommes connus depuis longtemps et solidement éprouvés dans la carrière des explorations africaines, le baron de Decken et le docteur Livingstone.

M. de Decken, noble et riche Hanovrien, s’est on peut dire approprié et créé une spécialité dans les voyages d’Afrique : la part qu’il s’y est faite, ce sont les grandes montagnes neigeuses de la région du Zanguebar. Depuis cinq ans il y a consacré sa vie. Ceux qui ont suivi le mouvement contemporain des découvertes savent que deux missionnaires allemands au service du comité de Londres, MM. Kraft et Rebmann, signalèrent les premiers, en 1848 et 1849, l’existence d’un grand massif au-dessus de la côte du Zanguebar, immédiatement au sud de l’équateur, dominé par plusieurs pics couronnés de neiges éternelles. Le plus méridional de ces sommets neigeux est le Kilimandjaro, à 4° environ de latitude australe ; un autre pic peut-être encore plus élevé et de nature volcanique, le mont Kénia, est presque sous l’équateur. L’annonce de cette découverte rencontra en Angleterre quelques objections de la part d’un homme à qui d’estimables travaux avaient acquis une autorité notoire dans les choses de l’Afrique, mais qui depuis semble avoir pris à tâche de détruire sa position acquise par les excès d’une critique sans raison ni mesure[2]. On révoqua en doute les neiges des deux montagnes et les montagnes elles-mêmes ; on mit gratuitement en suspicion non seulement l’habileté, mais la véracité même des deux missionnaires.

Il était nécessaire, pour l’honneur et dans l’intérêt de la science, de vérifier leurs indications. C’est ce que M. de Decken le premier, et jusqu’à présent le seul, a entrepris. Deux voyages successifs au Kilimandjaro, en 1860 et 1862, ont constaté la complète exactitude des faits annoncés par MM. Rebmann et Krapf ; néanmoins, pour M. de Decken lui-même, ces deux premières courses ne sont que la préparation d’une étude plus complète. Il a fait depuis deux ans de grands et coûteux préparatifs pour un troisième voyage aux pics neigeux. Il n’a vu que le Kilimandjaro, dont il n’a pu même compléter l’ascension ; il veut cette fois étudier aussi le mont Kénia et achever l’exploration du massif tout entier. Un bateau à vapeur à faible tirant a été construit tout exprès pour remonter les rivières qui ont leur source dans le massif, et qui descendent à la côte entre Mombaz et l’équateur ; ce bateau a été baptisé, à cause de sa destination, du nom français de Passe-Partout. Aux dernières nouvelles, — elles remontent au 10 décembre 1864, — le bateau était ancré à Zanzibar, ayant déjà fait quelques excursions préliminaires, et prêt à se remettre à l’œuvre. Un nombreux personnel engagé par le voyageur, — un capitaine de la marine d’Autriche, un médecin, un peintre, un ingénieur, un géologue, un charpentier et plusieurs autres artisans, et enfin jusqu’à un habile cuisinier, font de ce voyage une véritable expédition, une expédition qui semble vouloir rivaliser avec l’appareil princier des dames Tinné. S’il y avait à craindre quelques difficultés pour l’avenir, ce serait de ce déploiement de moyens et de personnel que pourraient venir les appréhensions. Deux hommes résolus et bien préparés, voyageurs ou missionnaires, iraient peut-être plus loin et plus aisément à travers ces contrées sauvages, qu’une troupe nombreuse qui veut transporter avec elle toutes les ressources et le confort de la vie civilisée. Espérons toutefois que nos craintes ne se réaliseront pas. Le projet de M. de Decken est de contourner le Kénia, et de redescendre par le versant occidental dans le bassin du Victoria Nyanza de Speke, auquel, sans aucun doute, la montagne envoie ses eaux. Si les prévisions du voyageur n’ont pas été trompées, l’expédition a dû se mettre définitivement en route au mois de mai dernier.


VII


Le plan que s’est tracé M. Livingstone pour son prochain voyage se présente sous de non moins grandes

  1. Die Tinne’sche Expédition in westlichen Nil-Quellgebiet, 1863-1864 ; aus dem Tagebuche von Th. v. Heuglin. Dans les Mittheilungen, cahier complémentaire no 15, 1865.
  2. M. Desborough Cooley, puisqu’il faut le nommer.