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proportions que ses deux expéditions précédentes, qui l’ont placé si haut sur la liste de nos modernes explorateurs ; il ne s’agit de rien moins cette fois que de remplir la lacune encore très-considérable qui sépare ses propres découvertes de celles de Burton et de Speke dans le centre de l’Afrique australe. Il est sûrement peu de nos lecteurs qui ne sachent quelle part immense le docteur Livingstone a eue depuis seize ans dans la reconnaissance des parties inconnues de l’Afrique australe. Si chaque explorateur laissait son nom aux terres qu’il a découvertes ou dont il a renouvelé la géographie, le sien devrait être inscrit sur une immense portion du bassin du Zambézi, ce grand fleuve qui est pour le sud de l’Afrique ce que le Nil est pour le nord, et le Kouâra ou rivière de Timbouktou pour le nord-ouest. Dans son premier voyage (de 1849 à 1852), il en a parcouru et décrit le premier presque toute la partie supérieure (car les vagues et rares notions que l’on en avait eues jusqu’alors par les Portugais du Congo ou de Mozambique n’avaient aucune valeur scientifique) ; et pour la seconde fois, de 1858 à 1864, outre une étude plus complète du cours inférieur du fleuve, il en a pour la première fois reconnu un affluent considérable, le Chiré, par lequel un très-grand lac, le Nyassa, se déverse dans le bas Zambézi[1]. Ce lac du Sud fut mentionné par les vieilles relations portugaises sous le nom de Maravi, qui est celui d’une de ses principales populations riveraines ; mais la notion que l’on en avait était si vague et si peu certaine, que depuis cinquante ans les géographes l’avaient effacé de leurs cartes. Nous rappellerons que la relation du premier voyage du docteur Livingstone a été publiée en français concurremment avec l’édition anglaise[2], et nous ajouterons qu’il en sera de même prochainement de la seconde relation, dont nous pouvons d’ailleurs annoncer que les lecteurs du Tour du monde vont avoir bientôt la primeur.

Dans son troisième voyage, le docteur doit embrasser tout l’espace compris entre le delta du Zambézi et les parages de Zanzibar, c’est-à-dire un intervalle de dix à douze degrés de latitude. Le gouvernement anglais a conféré au voyageur le titre de consul britannique, ce qui doit lui donner une beaucoup plus grande autorité près des chefs indigènes. Un bateau à vapeur que M. Livingstone a fait construire à ses frais il y a six ou sept ans, servira à étudier une partie au moins des rivières qui débouchent à la côte. Quoique le docteur ait déposé sa première qualité de missionnaire (ses études de jeunesse en avaient fait un médecin), l’expédition ne reste pas en dehors des questions d’humanité, et tout à la fois de politique, qui tiennent à l’abolition de la traite des esclaves par les navires européens. Les vues de la nouvelle expédition ne sont pas confinées à la région littorale. La reconnaissance de la partie supérieure du Nyassa, forcément interrompue il y a deux ans, celle des parties nord et sud du grand lac central (le Tanganîka), visité par Burton et Speke en 1859 ; l’exploration de l’espace encore inconnu compris entre ces deux grands lacs intérieurs, le Tanganîka et le Nyassa, et enfin, s’il est possible, l’examen des territoires situés entre le Tanganîka et l’équateur : tels sont les immenses desiderata signalés au zèle toujours ardent de l’explorateur. Ce plan est vaste, trop vaste probablement pour que l’on puisse espérer qu’une même expédition le remplisse en entier ; mais n’en dût-elle remplir qu’une partie, la science ne peut qu’en retirer un très-grand bénéfice.

Parti de Londres au mois de juillet, M. Livingstone a pris pied à Bombay le 11 août. C’est là que se sont faits les derniers préparatifs. Le voyageur, d’après ses dernières lettres, comptait partir pour la côte d’Afrique à la fin d’octobre.


VIII


L’espace qui nous reste ne nous permet pas de parler de du Chaillu, que ses dernières lettres laissent au Gabon, d’où il se proposait de remonter à l’est ou au nord-est, dans la direction du Tanganîka de Burton ou du Nyanza de Speke ; ni de Gerhard Rohlf, qui vient de quitter la régence de Tripoli pour une excursion vers Gadhamès, en attendant sans doute qu’une occasion favorable lui permette de pénétrer dans les parties vierges de la contrée des Tibboû, entre le Fezzan et le Ouadây ; ni de MM. Mage et Quantin, envoyés en mission il y a vingt mois par le général Faidherbe dans la direction de Timbouktou, et qui jusqu’à cette heure n’ont pu dépasser Ségo, sur le haut Dhioliba. Ce sont, du reste, des entreprises à peine entamées, que retrouvera notre prochaine Revue.

Nous aurions voulu signaler convenablement un rapport récent de M. Jules Duval à la Société de géographie, sur le passé et le présent de l’Algérie[3] ; c’est un morceau capital tracé de main de maître par un homme éminemment compétent, et que nous recommandons vivement à qui voudra connaître à fond l’histoire et la situation économique de notre colonie algérienne, comme nous recommandons un petit volume de M. Ricard à qui voudra se former une idée complète de l’état actuel et des ressources d’avenir du Sénégal[4]. Deux morceaux sur l’Égypte, fort remarquables l’un et l’autre, à des titres divers, pour quiconque aime à se re-

  1. On remarquera, que ce nom de Nyassa est identique, ou peu s’en faut, à celui du Nyanza, reconnu par Speke sous l’équateur ; au nord comme au sud, en effet, le mot, dans la langue des indigènes, désigne un lac, une grande eau. C’est un exemple, frappant pour tous, de l’analogie fondamentale de tous les idiomes qui se parlent dans le sud de l’Afrique sur une étendue de cinq cents lieues et plus en latitude, depuis l’équateur jusqu’au tropique d’hiver et au delà. Cette communauté d’idiomes chez une multitude de populations négroïdes plus qu’à demi sauvages, est un phénomène ethnologique dont la découverte appartient à notre époque, comme tant d’autres phénomènes analogues inaperçus jusqu’alors.
  2. Voyages et recherches d’un missionnaire dans l’Afrique méridionale. 1 vol. grand in-8o, 1859 (chez Hachette).
  3. Extrait du Bulletin de la Société de Géographie, cahier de juillet 1865.
  4. Le Sénégal, étude intime, par le docteur F. Ricard. Paris, 1865, 1 vol. (Chalamel aîné).