gues blouses de soie tombant jusqu’à l’orteil, ou bien satisfaire sans retard à l’empressement que nous témoignaient leurs mains et leurs bras tendus vers nous. Parmi cette étrange population, jeunes gens et vieillards, sans distinction de sexe ou de famille, ambitionnaient tous le contact de ces hadjis auxquels était encore attachée la sainte poussière de la Mecque et de Médine. Ma stupéfaction déjà grande ne diminua pas, comme on pense, lorsque des femmes remarquablement belles, dont quelques-unes trop jeunes encore pour être mariées, vinrent m’envelopper de leurs bras et me serrer contre leur poitrine. Ces démonstrations de respect, où la religion et l’hospitalité avaient une part à peu près égale, ne laissaient pas à la longue d’être un peu fatigantes. J’en avais assez, pour ce qui me regarde, quand nous arrivâmes devant la tente du principal ishan (prêtre) où notre petite caravane devait se réunir pour la distribution des billets de logement. J’assistai alors à une des scènes les plus curieuses qui aient jamais passé sous mes yeux. Le zèle passionné, l’ardeur fébrile avec lesquels nos braves gens se disputaient l’honneur et le privilége de fournir un gîte à un ou plusieurs de ces pauvres étrangers, me surprit au delà de toute expression. J’avais ouï parler, il est vrai, de l’hospitalité nomade, mais je n’avais jamais rêvé qu’elle pût s’étendre aussi loin.
Khaudjan apaisa de son mieux les dispositions querelleuses que le beau sexe commençait à manifester. Lorsqu’il eut rétabli l’ordre et assigné à chacun les hôtes qu’il devait emmener, il conduisit vers son ova (ou tente) ceux qu’il s’était spécialement réservés, c’est-à-dire Hadji Bilal et moi. Comme il habitait à l’extrémité de Gömüshtepe, nous eûmes à traverser le campement tout entier, situé, je l’ai dit, sur les deux rives de la Görghen et composé de tentes fort voisines l’une de l’autre. Le soleil était à peu près couché, lorsque, épuisés de fatigue, nous arrivâmes sur le seuil de sa demeure, espérant qu’il nous serait enfin permis de prendre quelque repos ; là, nous attendait une déception nouvelle. La résidence qu’on nous avait assignée se composait, il est vrai, d’une tente spécialement dressée pour nous à deux pas de la rivière ; mais nous en avions à peine pris possession avec le cérémonial accoutumé (on en fait deux fois le tour en glissant un regard furtif aux parties obscures), quand elle se remplit de visiteurs impitoyables qui jusqu’à une heure avancée de la nuit s’amusèrent à nous harceler de questions : Hadji Bilal lui-même, nonobstant sa longanimité orientale, semblait à bout de patience.
Le repas du soir nous fut servi par Baba Djan, le fils de notre hôte, jeune garçon d’une douzaine d’années. Ce souper consistait en poisson bouilli et en lait caillé, le tout servi dans grande écuelle de bois. Un esclave persan chargé de lourdes chaînes l’avait d’abord apportée près de nous : Baba Djan la reçut de ses mains, et après nous l’avoir servie, alla s’asseoir auprès de son père sur un banc voisin du nôtre, tous deux regardant avec un plaisir visible la prompte disparition des mets qui nous étaient offerts. La prière suivit le repas. Elle fut inaugurée par Hadji Bilal, que nous imitâmes tous lorsqu’il éleva ses mains vers le ciel, et quand plus tard après avoir prononcé le : Bismillah Allah Eker, en passant sa main sur sa barbe, il remercia Khandjan au nom des convives.
(La suite à la prochaine livraison.)
- ↑ Ces tentes, construites par les femmes turkomanes, se transportent par pièces sur les chameaux. On appelle akoy la tente neuve et blanche : elle sert aux hôtes ou aux nouveaux mariés. On appelle karaoy les vieilles tentes, brunies ou noircies par l’usage.