VOYAGE DANS L’ASIE CENTRALE,
DE TÉHÉRAN À KHIVA, BOKHARA ET SAMARKAND,
IV
Le 13 avril, je m’éveillai pour la première fois sous une de ces tentes turkomanes appelées tchatma par les Ymuts, aladja chez la plupart des autres tribus. L’excellente nuit que j’avais passée, la construction élégante et légère de l’habitation portative ou je me trouvais, donnaient à mon cœur une élasticité, un ressort inouïs ; j’étais sous le charme de toutes ces choses nouvelles, et ma joie, que je ne pouvais réfréner, attira l’attention d’Hadji Bilal. Il me proposa une courte promenade avec lui, et quand nous fûmes à certaine distance de la tchatma, il me fit remarquer qu’il était grand temps de dépouiller absolument mon caractère d’effendi pour devenir un derviche de corps et d’âme.
« Vous avez pu déjà observer, me dit cet ami sincère, que mes compagnons et moi, nous distribuons au public les bénédictions (fatiha) qu’il attend de nous, et vous devez faire de même. Je sais bien que telle n’est pas la coutume dans le pays de Roum ; mais ici vous surprendriez tout le monde si, vous donnant pour un derviche, on vous voyait omettre un rite aussi caractéristique. Vous en connaissez la formule : prenez donc un visage sérieux et ne marchandez pas vos fatiha ; vous pouvez aussi accorder vos nefes (souffles sacrés) aux malades près desquels vous serez appelé : seulement, en pareil cas, n’oubliez jamais de tendre la main, car il est notoire que les derviches firent leur subsistance de ces menus offices religieux, et l’on tient toujours en réserve un petit présent à leur offrir. »
- ↑ Suite. — Voy. page 33.