Page:Le Tour du monde - 13.djvu/80

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semblent attendre la restauration des herses et ponts-levis d’autrefois.

Au pied des remparts, sur un poteau indicateur, j’avais lu cet avis utile : Faure, hôtel des étrangers. Je le retrouve peint en rouge sur le mur d’une tourelle qui n’a d’autre ouverture qu’une petite porte basse, mais ogivale et surmontée d’un écusson blasonné. Je m’incline humblement sous cet emblème aristocratique pour ne pas le heurter du front, et je trébuche immédiatement après sur les marches d’un escalier à vis, aussi roide et aussi obscur qu’aucun de ceux qui conduisent les curieux — ou les désespérés — au sommet de ces tubes de bronze que l’orgueil humain appelle des colonnes triomphales.

À défaut de luminaire, nous laissant guider par un bruit étrange qui, des caves aux greniers, ébranle les murailles du vieil édifice, nous atteignons enfin un palier ouvrant sur ce qui fut jadis une salle d’armes. Là, sous une antique et immense cheminée, une douzaine d’individus s’agitent, se démènent autour d’innombrables pots, marmites et casseroles ; des flots de vapeurs culinaires les entourent d’un nimbe fantastique et odorant ; de plusieurs portes béantes, sur le pourtour de cette officine, s’échappe un cliquetis de verres, de vaisselles et de voix criardes, et enfin, couronnant le tout, les noires solives du plafond semblent près de céder sous un ébranlement continu et assourdissant, dont je ne reconnais la nature qu’au moment où une matrone de bonne mine (la dame de ce castel), se détachant du groupe affairé sous le manteau de la cheminée, s’avance vers nous et nous adresse, du ton le plus gracieux, ces paroles interrogatives :

« Ces messieurs sont de la noce ? »


La ville de Salers. — Dessin de Lancelot d’après l’album de M. Henri de Lanoye.

Avant que je puisse formuler une réponse, le plafond gémit de plus belle sous le piétinement d’une ronde échevelée, et dans un chœur formidable, roulant comme un tonnerre sous les voûtes de l’hôtel des étrangers, je crois saisir ce refrain bien connu des baigneurs de Vichy :

Oh ! combien nous nouch’amuchames
    À la noche de Nicolas !
Nouch’étions nich’hommes ni femmes ;
    Nouch’étions touch’Auvergnats.

F. de Lanoye.

(La suite à la prochaine livraison.)