Page:Le Tour du monde - 13.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pacage dans le nord du Cantal. — Dessin de Jules Laurens.


VOYAGE AUX VOLCANS DE LA FRANCE CENTRALE.


PAR M. FERDINAND DE LANOYE[1].


1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


III


Une ville du quinzième siècle (suite). — Un descendant de Gaston Phébus. — Monuments de Salers. — Ce que l’on voit du haut de sa promenade. — Le Puy Violent. — Burons et troupeaux. — La forêt du Falgoux. — Le Roc du Merle. — Le Puy-Mary. — Le bois Noir et la vallée de l’Aspre. — L’Auze et le plateau d’Anglards. — Version salersoise de la bataille des Champs catalauniques.

Décidément, fatigués comme nous l’étions, nous arrivions mal dans l’Hôtel des Étrangers ; on y festinait au premier étage ; on dansait au second ; où pouvait-on se reposer ?

Nous prîmes le parti d’aller chercher en ville la solution de ce problème, en comptant un peu sur un de ces hasards favorables qui ne nous avaient pas encore fait défaut.

Le parcours d’une ruche moyen âge, enfermant à peine treize cents habitants, ne peut prendre beaucoup de temps. Au bout d’un quart d’heure, nous avions visité l’église, monument du quinzième et du seizième siècle, dans lequel un saint sépulcre, ornement remarquable, en stuc, de la bonne époque italienne, et un tableau attribué à Ribeira, font vivement regretter la parcimonie fâcheuse du jour, filtrant péniblement à travers des ogives trop étroites et trop espacées. À quelques pas de là, passant sous la voûte de la tour de l’Horloge, vestige bien conservé de l’ancienne enceinte de la ville, nous avions contemplé avec une satisfaction sans réserve l’épaisseur et la verdure intense d’un pacage couvrant l’emplacement de l’ancien château de Pestels qui, pendant les siècles de la féodalité, domina et menaça Salers ; en revenant sur nos pas, nous nous étions arrêtés devant l’hospice actuel, l’antique demeure de Pierre Lizet, premier président au Parlement de Paris, au temps où la noble Chambre brûlait les premiers et les meilleurs représentants de la réforme et de la pensée libre, Louis Berquin et Étienne Dolet ! — Après avoir pénétré un peu plus loin, sur la place centrale de la ville, nous nous reposions accoudés à la vasque d’une fontaine qui en fait le principal ornement et jaillit du basalte en quatre jets abondants, à neuf cent cinquante mètres du niveau de la mer, lorsque la Providence, que nous attendions, nous apparut sous la forme d’une vieille femme, ne portant sur sa coiffe, contrairement aux us des montagnardes, ni serre-malice ni chapeau de paille. La digne personne s’approcha discrètement pour nous demander si nous n’étions pas les Parisiens annoncés à son maître, M. de T…, le grand éleveur de Salers, par M. E. T., le célèbre agronome de la Charente. Sur notre réponse affirmative, elle ajouta : « Votre appartement est prêt et le couvert est mis ; donnez-vous la peine d’entrer. » Pouvions-nous mieux faire que d’accepter ? Quelques secondes après, notre guide, nous ayant fait franchir un seuil de tourelle et un escalier gothique, nous installa confortablement dans un salon, garni de bons meubles modernes et d’antiques portraits de famille, remontant par des mestres de camps de la guerre de Hanovre, des chefs d’escadres et des généraux de Louis XIV, des membres du Parlement et des consuls de Salers, jusqu’à une princesse de Foix, petite-fille de Gaston Phébus.

Je n’aurais nullement été surpris, sous l’influence des visions qu’évoquaient en moi les êtres et les choses de Salers, de voir le maître du logis m’apparaître avec un haut-de-chausses à bouffantes, un pourpoint tailladé et des talons rouges, suivant la mode des raffinés de la cour de Henri II. Il n’en fut rien et M. de T. vint à nous précipitamment, mais en tenue des plus simples, en veste de chasse, un petit feutre mou à la main, et ne gardant du costume obligé de son aristocratique lignée qu’une paire d’éperons d’argent que, dit-on, il ne quitte jamais, mais dont l’emploi est assez justifié par

  1. Suite. — Voy. page 65.