Page:Le Tour du monde - 14.djvu/119

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boîtant le pas derrière son voisin, comme ces grues au vol en serre-file dont parle Dante Alighieri.

Nous allâmes d’un bon pas pendant quelques heures. L’ombre se dissipa graduellement ; l’aube parut ; le jour se fit. Le sol jusqu’alors assez plan, devint onduleux, inégal et finit par se couvrir d’ornières profondes. Un tapis de mousse ou de détritus dissimulait perfidement ces cavités et nous empêchait de les relever à distance. Nous n’étions avertis de leur gisement qu’en disparaissant tout à coup jusqu’à la ceinture ou allant rouler sur la tête et les mains à quelques toises de leurs bords.

Les petites rivières s’étaient succédé sans interruption. Je relevais la vingt-septième depuis ma sortie de Pevas, lorsque notre troupe atteignit les bords d’un cours d’eau assez considérable pour amener une solution de continuité dans la forêt et nous laisser voir le bleu du ciel. Un soupir de contentement et presque de reconnaissance s’échappa de ma poitrine ; il me semblait qu’après deux jours de captivité, la liberté venait de m’être rendue.

Cette rivière, que nous cotoyâmes, recevait par sa droite, à titre d’affluents, la plupart des ruisseaux que nous avions traversés en chemin. La largeur de son lit pouvait avoir soixante mètres ; ses eaux étaient noires et la partie visible de son cours se maintenait au nord-nord-est. Après l’avoir suivie pendant près d’une heure, nous la vîmes se retrécir graduellement, puis s’engouffrer avec bruit entre deux berges coupées à pic et reparaître au delà de cet étroit chenal, calme, reposée, et comme endormie.

Le Benjamin de la famille.

À cet endroit la rive gauche formait une anse circulaire bordée d’un plage de sable blanc. Une pirogue y était échouée. Le chaume de quelques huttes apparaissait à travers le feuillage. C’étaient le port et la mission de Santa Maria. La rivière aux eaux noires que nous longions depuis une heure, était cet affluent du Pntumayo que je connaissais pour l’avoir vu en songe. Sous le nom de Rio de los Yahuas, il allait rejoindre à dix lieues de là, la grande rivière, tributaire de l’Amazone.

Un de nos porteurs se jeta à la nage, alla remettre à flot la pirogue échouée et s’en servit pour nous passer sur l’autre rive.

Nous ne trouvâmes à Santa Maria que des vieillards, des femmes et des enfants ; les hommes étaient partis depuis le matin pour la chasse et la pêche et ne devaient revenir que le soir. En leur absence, les femmes nous offrirent des nattes pour nous asseoir et une écuellée de caïsuma pour nous rafraîchir. Tout en feignant de goûter à l’épais breuvage, le révérend s’enquit avec bonté de l’état sanitaire de la population, composée à cette heure de seuls relaps et d’idolâtres, écouta les doléances des mères de famille au sujet des dernières coliques de leurs nouveau-nés et prescrivit à un vieillard qui vint se plain-