Page:Le Tour du monde - 14.djvu/120

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dre à lui d’une foulure au poignet, je ne sais quel remède de graisse de caïman et d’herbes locales, cueillies au clair de lune.

Laissant le missionnaire à ses consultations gratuites, j’allai visiter le village. J’y comptai seulement douze huttes intactes. Les autres, dont on avait arraché les poteaux et les perches pour en faire du feu, s’étaient affaissées et le chaume de leur toiture se décomposait lentement. L’église, débarrassée de sa charpente, n’offrait qu’un amas de litière. Sur un cube en torchis qui me parut avoir été l’autel, deux coqs dressés sur leurs ergots, se disputaient les bonnes grâces d’une poulette rousse. De la mission de Santa Maria fondée par les jésuites et occupée après eux par les franciscains, voilà tout ce qui restait à cette heure ! Sur ce néant de l’homme et de son œuvre, la nature étendait déjà, comme pour en dissimuler l’horreur, un gracieux et verdoyant réseau de plantes traçantes.

Cette promenade autour du village, me conduisit jusqu’à la plage que nous avions franchie précédemment. Un instant je m’amusai de l’opposition que la blancheur de son sable formait avec l’eau noire de la rivière des Yahuas. Cette eau lugubre qui ne reflétait rien, donnait au bleu du ciel et aux verdures d’alentour, un aspect dur et cru, que le pinceau reproduirait peut-être, mais que la plume doit se borner à constater.

Les savants se sont préoccupés déjà de ces eaux singulières, et, pour expliquer la cause de leur couleur, ont eu recours à de petits systèmes fort bien imaginés, mais tout à fait distincts. Ainsi, les uns ont attribué la teinte noire de ces eaux à une dissolution d’hydrogène carboné, d’autres à des lits de tourbe qui formaient le fond de leur lit ; ceux-ci ont prétendu qu’elles passaient à travers des couches de houille, ceux-là qu’elles reposaient sur des bancs d’anthracite. Certains de ces savants, qui ne se sentaient pas de force à créer un système, ont dit simplement que la richesse de la végétation tropicale et la multitude de plantes qui croissent au bord de ces eaux, étaient les seules causes de leur coloration étrange.

Fabrication de hamacs chez les Yahuas.

Humboldt, dans les observations qu’il a laissées à leur sujet, mentionne, avec un refroidissement de la température dans les régions qu’elles parcourent, une diminution notable de moustiques sur leurs rivages et dans leur lit une absence totale de caïmans et de poissons. Il ajoute que les eaux de l’Atapabo, du Temi, du Tuamini et du Guainia, par lui observées, ont à la lumière la teinte du café, prennent à l’ombre la couleur de l’encre et renfermées dans des vases transparents, sont d’un beau jaune d’or.

Si nous n’avons pas exploré le Guainia, source et tête du Rio Negro, ni descendu ou remonté le cours de l’Atapabo, du Temi et du Tuamini, trois ruisseaux que ce même Rio Negro reçoit par la gauche, il nous a été donné de voir, en fait d’eaux noires, deux rivières de première ordre, larges d’une lieue et longues de trois cents ; deux de second ordre, onze de troisième, neuf lacs-rivières de dix à douze lieues de tour et trente-sept lacs secondaires. C’en est assez, ce semble, pour que nous puissions, sans outrecuidance, parler d’eaux noires après Humboldt, et placer humblement nos observations sur leur compte à la suite des siennes.

Or ces eaux, dont nous laissons au lecteur le soin de rechercher les causes de la coloration, nous bornant, comme d’habitude, à constater leurs seuls effets, ces eaux nous ont toujours paru d’une température égale à celle des eaux blanches qu’elles coudoient et avec lesquelles elles finissent par se confondre.

En outre, les terrains qu’elles parcourent, s’ils ne nous ont offert, ni tourbières, ni gisements de houille et d’anthracite, nous ont semblé d’une nature très-variable ; porphyre feld-spathique dans le Jutahy et le Jandiatuba,