Durant cette nuit solennelle, où des boissons fermentées ont surexcité l’enthousiasme des danseurs et de l’assistance, composée d’hommes seulement, une flûte géante, ou mieux un tuyau d’orgue, emprunté à la tige du plus gros bambou qu’on ait pu trouver, ne cesse de mugir sous le souffle pieux des fidèles. Quand un de ces flûtistes est à bout de forces, un autre le remplace. Cette flûte, dont la seule vue, au dire des Yahuas, fait pourrir les yeux du profane qui l’aperçoit, est brûlée à la fin du ballet avec les autres accessoires. Pendant la durée de la fête, si ses mugissements arrivent aux oreilles des femmes restées seules au village, elles poussent des hurlements, entre-choquent leurs poteries, frappent à coups de bâton les murs de leurs huttes, afin d’étouffer le son de l’instrument, présage infaillible de grands malheurs.
Que n’eussé-je pas donné pour posséder une flûte semblable ! Malheureusement, la façon dont les Yahuas avaient accueilli ma motion au sujet du ballet de l’Arimaney, m’ôtait l’envie de leur en faire la demande. Dans l’impossibilité de mordre à leur flûte, je me rabattis sur leur poison.
Le poison que préparent ces indigènes et dans lequel ils trempent la pointe de leurs lances et celle des flèches-aiguilles de leurs sarbacanes, est aussi actif que celui des Ticunas, bien que sur les marchés du haut Amazone leur prix d’achat soit différent. Ainsi le poison des Yahuas coûte seulement douze réaux le pot d’une livre, tandis que le poison préparé par les Ticunas est payé trois piastres. Certains expliquent cette différence de prix entre les deux produits, par la différence de leur durée. Le premier, disent-ils, ne se conserve guère plus d’une année, tandis que le second est encore parfait au bout de deux ans de fabrication. Pour les riverains du fleuve, à qui la sarbacane tient lieu de fusil, ces poisons, dont le Wourali et le Curare ne sont que des contrefaçons, remplacent avantageusement la poudre et le plomb de chasse.
Des voyageurs dont le nom nous échappe, ont parlé de la composition de ce toxique. Aux explications qu’ils en ont données, ils ont cru devoir ajouter que les sauvages, au lieu de préparer ce poison dans leurs huttes, le préparaient au fond des bois, et cela pour en dérober le secret aux curieux. Ne sachant trop que décider à cet égard, je priai le P. Rosas d’user de son influence sur les Yahuas pour arriver à la connaissance exacte des faits.
Le Yahua à qui il s’adressa lui offrit courtoisement un petit pot de sa vénéneuse pommade, mais refusa de lui apprendre de quelles drogues elle était composée et comment il la préparait. Le révérend tenta de le séduire par le don d’un eustache à manche de bois jaune, mais