Page:Le Tour du monde - 14.djvu/163

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Nous faisions ordinairement deux marches par jour, et nous nous reposions de onze heures à deux et demie ou trois ; mais ce jour-là le temps était incertain. Devant nous, à notre droite, la teinte rousse du ciel était de sinistre augure ; elle nous faisait craindre le kramsine, plus vulgairement nommé simoun, vent dont on connaît les désastreux effets.

Nous résolûmes donc de continuer notre marche pour nous rapprocher le plus possible de l’endroit où l’on devait trouver de l’eau. On décida en outre que le plus agile chameau serait envoyé en avant pour atteindre ce lieu (Abou-Hamed), y annoncer notre approche et rapporter de l’eau fraîche s’il était possible.

La chaleur était si vive, que mon nez (dont la peau délicate était peu habituée à ce genre de température) s’était déjà sacrifié plusieurs fois ; il se pela de nouveau avec des cuissons encore plus vives et je fus obligé de le garantir, tantôt par un moyen, tantôt par un autre, contre l’action du soleil et de l’air brûlant. Je n’étais pas seul à ressentir de la sorte les effets de cette température ardente ; les chameliers et les chameaux eux-mêmes en subissaient les conséquences. Nous marchions silencieusement. Pas un souffle de vent ne venait tempérer la chaleur étouffante. La plaine étincelante de lumière fatiguait nos yeux et nous obligeait à les tenir presque complétement fermés.

Au sud-ouest l’horizon devenait encore plus menaçant ; sa teinte plombée avait, en s’étendant, fait place à une teinte rousse au milieu, puis, celle-ci, s’étendant à son tour, avait découvert une teinte rougeâtre, terne, du plus sinistre augure. Quelques bouffées d’un vent chaud, comme s’il sortait d’une fournaise, venaient nous frapper au visage.

Les chameliers qui interrogeaient sans cesse ce point de l’horizon d’où l’enfer semblait vouloir vomir sur nous ses rafales brûlantes, crurent le moment fatal venu, et commencèrent à nous donner leurs instructions.

Effet de mirage. — Montagne de calcaire feuilleté. — Dessin de Karl Girardet.

La tempête approchait de plus en plus de notre droite ; par moments, nous étions vigoureusement secoués par les rafales de ce vent brûlant. Les chameliers levaient les mains vers le ciel et marmottaient sans cesse des prières. Pourtant l’air n’était pas encore chargé de sable, si ce n’est de celui qu’il ramassait sous les pas de la caravane et qu’il emportait au loin.

La lassitude était extrême, la chaleur suffocante ; malgré cela, hommes et animaux marchaient résolûment. Ces derniers mêmes semblaient comprendre que chaque pas de plus vers la limite du désert était autant de gagné sur le but, qu’il faudrait atteindre ensuite avec plus de privations et de fatigues, si le kramsine nous enlevait l’eau qui nous restait.

Au bout de deux heures de cette anxiété, l’orage était si près de nous, que sa teinte sombre nous dérobait presque la moitie de l’horizon. Quelques chameliers proposèrent de nous arrêter et de prendre position pour en supporter aussi bien que possible les terribles effets ; d’autres firent remarquer que le plus gros de la tempête semblait glisser sur notre droite, et qu’en continuant à marcher nous parviendrions à l’éviter. Ce dernier avis fut suivi, et bientôt nous reconnûmes, avec satisfaction, que la teinte du ciel commençait à s’éclaircir devant nous, tandis qu’elle devenait de plus en plus sombre sur notre droite. L’espoir dès lors commença à renaître.

On voyait, çà et là, tournoyer dans cette nue rousse, des courants contrariés, des sortes de trombes dont les effets eussent été désastreux pour notre caravane si, elle eût eu à en supporter toute la violence. Il devint bientôt certain que nous échapperions à cet affreux orage, et, au bout d’une heure de marche encore, nous fûmes complétement rassurés.