Page:Le Tour du monde - 14.djvu/164

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Hommes et bêtes cependant étaient rendus de fatigue, et bien que l’endroit nous semblât peu propice, nous y établîmes néanmoins notre campement. Partout ce n’étaient que pierrailles et graviers anguleux de quartz hyalin. Chacun s’installa le mieux qu’il put sur ce lit rocailleux. Certes, en temps ordinaire, une nuit ainsi passée eût été une nuit blanche. Cette fois, chacun dormit d’abord comme sur de la plume, après s’être ajusté le mieux possible ; pourtant, quand un demi-réveil amenait des mouvements irréfléchis, on ne tardait pas à se réveiller meurtri par les angles des graviers. Alors chacun dégageait péniblement ses membres engourdis, gaufrés par ces vives arrêtes, se rajustait de nouveau et se rendormait aussitôt.

Jamais la marche ne fut plus difficile que la nôtre le jour suivant ; les chameaux chancelaient sur les débris pierreux et faisaient entendre de longs cris plaintifs sous les excitations de leurs conducteurs. On regardait en avant pour découvrir le chameau qui devait nous rapporter de l’eau fraîche ; rien ne se montrait sur cet horizon de mort.

La soif ardente qui nous aiguillonnait, était la note dominante de nos souffrances ; pourtant on attendait encore. Le ciel avait repris une lourdeur d’atmosphère dépassant encore celle des jours précédents ; il semblait que le kramsine avait laissé l’impression suffoquante de son haleine de feu sur tout ce qui nous entourait. Pas un nuage au ciel, pas un souffle dans l’air. Le soleil nous inondait de sa lumière étincelante, ses rayonnements sur le sol nous étaient renvoyés par les paillettes brillantes de mica et les facettes blanches du quartz, avec une telle vigueur, que l’on pouvait à peine entr’ouvrir les yeux pour se guider.

Le kramsine. — Dessin de Karl Girardet.

Nous marchions presque mécaniquement et plongés dans une sorte de lourde somnolence. Soudain, un bruit nouveau, inattendu, se fit entendre, bruit sec, strident, qui nous secoua, nous réveilla et se perdit bientôt en un bourdonnement lointain. Tous les yeux s’ouvrirent, les têtes se redressèrent, quelques exclamations retentirent. C’était une compagnie de perdrix qui était venue chercher sa nourriture sur la route des caravanes ; le Nil, l’eau, l’ombrage étaient donc près de nous. Le bruit du vol lourd de ces oiseaux était une délicieuse musique pour l’oreille de chacun de nous ; il nous disait : Courage ! Le Nil est proche, le Nil divin, le Nil aux eaux bleues, fraîches et limpides qui appellent les lèvres altérées. Allah kerim !… — (Dieu est grand ! louange à Dieu !) fut l’exclamation que l’on entendit de tous côtés.

Presque au même moment, le chameau messager, si ardemment attendu, montra sa bosse par-dessus un pli de terrain à quelque distance en avant de nous. Alors, la joie n’eut plus de bornes, l’aspect de la caravane fut