Page:Le Tour du monde - 14.djvu/165

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changé comme par enchantement. Des chameliers se mirent à chanter et à battre des mains en cadence ; ceux qui, un instant auparavant, cheminaient péniblement en se tenant accrochés aux flancs des chameaux, agitaient les bras, sautaient, dansaient et faisaient des gambades ; ceux qui, plus heureux, avaient comme moi les reins rompus par le mouvement de va-et-vient de la bosse du chameau qui les portait, se redressaient, passaient la main sur leur échine endolorie ; chacun se déridait et se préparait à savourer le breuvage olympique qui approchait. Bientôt on courut aux outres : il fallait voir quelle fête, quelle gaieté, quelle animation ! et pourtant cette eau était déjà chaude et avait de plus acquis une partie du mauvais goût des outres ; mais en comparaison de celle qui provenait des puits du désert, c’était encore du nectar.

On se remit en route, et à partir de ce moment, la bonne humeur et l’entrain n’abandonnèrent plus la caravane.

Les pauvres chameaux eux-mêmes semblaient sentir l’approche du fleuve ; ils marchaient sans presque se faire prier.

Leurs conducteurs se mirent à danser. Le sujet de leurs danses mimiques ne tirait pas son inspiration de bien loin : il était tout simplement la reproduction embellie, arrangée, de la marche et de l’allure du chameau. Dans l’ensemble des mouvements, et surtout dans celui de la tête, on reconnaissait de l’analogie avec le mouvement que produit cet animal dans sa marche en balançant la tête par un mouvement inverse à celui du corps.

Danse des chameliers. — Dessin de Karl Girardet.

Les chameliers danseurs, ainsi que les spectateurs indigènes, battaient dans leurs mains et sur le tarabouka une mesure ou cadence que l’on peut représenter par ces deux mesures répétées alternativement et indéfiniment :

Après les danses, ils improvisaient des chants pour nous féliciter de notre heureuse traversée du désert : « Allah soit loué ! Vous touchez le rivage de la mer de sable, en vain la tempête vous a environnés de ses tourbillons roux et suffoqués de sa brûlante haleine, en vain le soleil a fait pleuvoir sur vous ses étincelles ardentes, en vain l’horrible soif a séché votre gorge, en vain la lassitude a lié vos jambes et plié vos reins, vous êtes arrivés vainqueurs de tous ces ennemis, et l’avide désert n’a eu de vous que l’empreinte de vos pas sur les sables. Allah soit béni ! Voici l’eau, la bonne eau, l’entendez-vous murmurer ? Voici l’ombrage, le frais ombrage, l’entendez-vous frémir ? Voici le repos et