Page:Le Tour du monde - 14.djvu/168

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au gré du courant. Qu’était-ce que ce corps noir, de sinistre apparence, que l’on ne reconnaissait que vaguement encore ? Chacun se leva pour l’observer, quelques-uns se disposant à l’arrêter au passage. Le cadavre d’un nègre, d’un aspect hideux, se dessina bientôt nettement à nos yeux ; son corps et ses membres étaient enflés, considérablement grossis. Au milieu de sa tête, qui avait l’apparence d’une boule boursouflée, on voyait deux points noirs et une partie blanchâtre livide : ces points noirs étaient la place de ses eux renfoncés ; ses lèvres déjetées formaient la partie blanchâtre et livide. Quelques poissons voguaient à sa suite, venant de temps à autre le choquer de leurs mâchoires, comme s’ils en attendaient quelque nourriture. Ce corps était affreux, mais enfin, c’était celui d’un être humain.

« Il faut l’accrocher et le conduire à la rive, dis-je, afin que l’on puisse prendre des informations et l’inhumer ensuite.

— Peuh ! Bah ! firent les hommes du bord les uns en se rasseyant, les autres en rejetant les instruments dont ils s’étaient munis d’abord. — C’est un nègre, un esclave, personne ne s’occupera de cela, la justice pas plus que le public, et son corps infecterait la rive au lieu de nourrir les poissons. »

Mosquée dans sa plus simple expression. — Dessin de Karl Girardet.

C’était peut-être un esclave tué par son maître, événement assez fréquent dans ce pays, et qui, bien que contraire aux lois du Coran, n’attire cependant jamais l’attention de la justice.


Différentes natures de forêts. — Charmantes retraites. — Pas de roses sans épines. — Moyen de protéger la récolte. — Sauvage beauté des forêts vierges — Nombreux hôtes des forêts. — Perplexités nocturnes.

Le matin du 1er mars, après avoir dépassé Saba-Douleb, village ainsi nommé, parce que, dit-on, c’est là que se trouve le premier douleb que l’on rencontre en remontant vers le sud, plusieurs de nos matelots sortirent pour chercher quelques provisions. Le premier qui rentra nous dit avoir croisé les traces d’un lion ; un des hommes qui revint ensuite annonça qu’il venait de voir un lion emportant un mouton.

À cette nouvelle, il me prit subitement envie de sortir aussi. Je n’avais nullement l’intention de me mesurer avec le terrible animal ; mais j’avais le plus vif désir de voir ce prince des forêts en liberté ; toutefois, je glissai une balle sur le plomb de mon fusil. Mes compagnons tentèrent de me retenir, disant que c’était une témérité, une imprudence inutile. Voyager pour ne pas voir, remarquai-je, n’est pas très-utile non plus. Du reste, si mon intention n’était pas d’affronter le lion, je comptais, au pis aller, rencontrer quelque gibier moins dangereux, qui me dédommagerait de ma