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plus salubre et la critique moins maligne. Chaque dimanche, de neuf heures à dix, une embarcation, partie de Nogueira, traverse le lac et vient déposer sur la plage d’Ega le jeune curé, qui dit une messe, bénit ses ouailles, déjeune à la hâte chez une connaissance et repart ensuite.

Nous sommes à peu près certain d’avoir vu et entretenu la portion masculine et noble de la population d’Ega ; mais nous n’en pouvons dire autant de la partie féminine. Un œil brillant dans l’ombre, le frôlement d’une jupe empesée derrière quelque porte, un petit rire malicieux, un chuchotement étouffé, voilà, durant six jours de visite chez les notables, les seuls renseignements que nous avions pu recueillir sur un sexe aimable et curieux. Heureusement le septième jour était un dimanche, et, posté devant la chapelle, à l’heure de la messe, il nous fut donné d’assister au défilé général de la population : féminine d’Ega, divisée, comme partout ailleurs, en trois catégories. Les jeunes filles, les jeunes femmes et les douairières. Plusieurs de ces dames se disposaient à communier, et, selon l’usage du pays, étaient enveloppées d’un voile de mousseline épaisse qui cachait à la fois leur taille et leur visage. Dans le nombre des femmes qui ne communiaient pas, nous en remarquâmes de très-jolies. Si leur façon toute amazonienne de porter les modes françaises choqua notre goût parisien, en revanche, leur pâleur blonde, leurs grands yeux de velours et leur chevelure noire à reflets bleuâtres, nous parurent valoir les quatorze vers d’un sonnet.


Vue du village de Nogueira (eau noire).

Cette halte artistique au seuil de la chapelle qui fournit à notre album deux ou trois portraits, faillit nous mettre à dos tous les hobereaux de la ville. Ces dignes messieurs, même en l’an de grâce où nous écrivons, n’admettent pas plus que des Grecs anciens ou des Turcs modernes, qu’un regard étranger puisse se fixer sur leurs femmes.

Le voyageur qui s’arrête à Ega, sur la rive droite du lac, ne peut se dispenser de visiter Nogueira, situé sur sa rive gauche. Cette traversée, qui prend à peine une heure, est charmante par un temps calme, mais assez dangereuse lorsqu’on est surpris par un coup de vent. Le lac, qui n’a guère que quatre à six brasses de fond, s’enfle, clapote, roule sur lui-même, et ses lames, courtes et dures, ont bientôt empli une embarcation.

Du village de Nogueira, fondé par les carmes, en remplacement de Paruari, cette mission d’Indiens Umaüas dont nous avons parlé plus haut, il n’est resté que quelques oliviers tortus et crevassés qui végètent tristement sur le talus sablonneux de la rive. Le Nogueira actuel se compose de neuf maisonnettes, bâties en pisé, couvertes en palmes et assez espacées pour que leurs habitants ne puissent s’épier entre eux.

L’accueil gracieux du curé d’Ega me retint trois jours à Nogueira. Bien que logé dans la maison du jeune prêtre, où son